Le promoteur immobilier n’était pas attendu dans l’univers de l’art contemporain. Il est pourtant devenu un de ses plus ardents défenseurs.
Au début des années 2000, on aurait dit aux proches de Laurent Dumas qu’à 52 ans il compterait parmi les plus importants collectionneurs et mécènes français, qu’il serait membre fondateur du Tokyo Art Club et enfin secrétaire général des amis du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ils se seraient étonnés. Ce promoteur immobilier, inconnu hier des artistes, galeristes et responsables de musée, est pourtant devenu en quelques années un visage familier, connu pour ses engagements envers la scène artistique française et ses commandes passées à des artistes dans le cadre de ses opérations immobilières. En douze ans à peine, Laurent Dumas a tissé un maillage d’actions et de relations à un rythme crescendo. Un développement exponentiel qui n’est pas sans rappeler l’essor de son entreprise Transimmeubles, devenue en 2008 le groupe Emerige, et passée en vingt-cinq ans de la restructuration de bâtiments en bureaux, commerces et logements en Île-de-France à de vastes programmes de construction, alliant activités tertiaires et logements résidentiels.
« Ma mère m’avait pourtant élevé avec l’idée qu’il y avait deux branches professionnelles à surtout ne pas emprunter : l’immobilier et l’assurance », dit-il. Au final, après une tentative d’études d’architecture qui ne lui correspondaient pas, son service militaire et deux années dans une société civile de placements immobiliers de la banque Worms, il se tourna vers l’immobilier. L’acquisition avec un ami d’un bâtiment (destiné à l’élevage de poulets…) situé au pied de la Défense qu’il transforma en bureaux a marqué ses premiers pas dans la profession. Le Groupe Emerige, détenu à 65 % par Laurent Dumas et 35 % par Naxicap, affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 172 millions d’euros, compte 65 employés et vient de s’implanter en Espagne.
« Aimer » et « ériger »
Laurent Dumas s’est impliqué dans le soutien à la création avec la même ardeur. Entamée à partir de 2003, sa collection d’art moderne et contemporain est aujourd’hui évaluée à 500 œuvres. Que ce soit Alberto Giacometti, Henri Matisse, Jean-Pierre Pincemin, Anselm Kiefer, Gérard Garouste, Bruno Perramant, Philippe Cognée, Claire Tabouret ou encore Anne-Flore Cabanis, le figuratif et la nature humaine dans ses différents états prédominent dans ses choix. En témoignent le siège de sa société, son domicile parisien et sa propriété dans le Perche, où il renouvelle lui-même les accrochages de sa collection. Il franchit aisément le pas le menant de la collection au mécénat, puis à la commande. Au premier mécénat d’Emerige dans l’exposition « TAG » au Grand Palais en 2009 a succédé la commande d’œuvres passée à Gérard Garouste pour l’ancien Hôtel des Douanes racheté par le gestionnaire américain de portefeuilles Carlyle. Cette dernière constitue certainement l’une des plus importantes commandes passées dernièrement à un artiste par une société privée. Pas moins de huit portes d’entrée monumentales en bronze signent la façade tandis que sculpture, lustre et fresques en faïence sont répartis à l’intérieur. L’ouverture de la Villa Emerige dans le 16e arrondissement où s’organise une exposition par an, le recrutement pour le mécénat et les projets artistiques du groupe, puis la création du Fonds de dotation Emerige en 2014 ont donné de solides structures pour ses actions.
Contraction inspirée des termes « aimer » et « ériger », Emerige formalise parfaitement l’esprit qui gouverne les projets artistiques de cet homme discret, sans artifice ni posture, dans sa manière d’être ou de parler, plutôt franc et direct. Sa puissance financière, il ne la porte pas sur lui, pas davantage que ses attitudes ne trahissent le milieu social dont il est issu. Son père, mort quand il était jeune, était banquier. « On peut ignorer d’où il vient quand on le voit. Il n’est pas dans l’épate ni dans un besoin de reconnaissance ou de puissance », relève Estelle Francès, créatrice avec son mari de la Fondation d’entreprise Francès. Lors de la présentation au ministère de la Culture de l’opération « Un immeuble, une œuvre », où tous les grands noms de la construction en France se sont engagés à passer commande à un artiste dans leurs opérations de rénovations ou de constructions à venir, il ne s’est approprié à aucun moment l’initiative. Au contraire. Car « il sait que s’il veut être efficace et mobiliser ses confrères, il faut qu’il s’efface. L’important pour lui c’est que ce projet se fasse », avance un expert du milieu de la construction.
Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle
Le terrain et ses rencontres l’ont formé. Laurent Dumas est un autodidacte en tout : dans son métier (son seul diplôme est le baccalauréat) comme dans son rapport à l’art. Il reconnaît avoir été marqué dans sa jeunesse par une certaine appétence pour les tableaux, meubles ou objet anciens achetés aux Puces ou à Drouot. Le basculement vers l’art moderne et contemporain ne fut pas prémédité. Le déclic a lieu alors qu’il se retrouve dans un appartement vidé d’un coup d’un décor construit à deux. Pour combler ce vide, il fait l’acquisition d’une œuvre de Bram van Velde. Une période tumultueuse qui a coïncidé aussi avec son pèlerinage sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Chaque année, étape après étape, il le poursuit une semaine par an. La marche, « la marche spirituelle », reprend-il, est un exutoire de peines, une catharsis et un espace de réponses et de transformations profondes. La spiritualité, au même titre que la fidélité en amitié, est centrale chez cet homme marqué jeune par la disparition de son père et celle de son meilleur ami la même année. Ses amis rencontrés à l’âge de 15 ans forment son cercle le plus intime.
Dans son cheminement dans l’art contemporain, les rencontres, en particulier avec les artistes, ont formé d’autres curseurs importants, révélateurs de son côté affectif et sentimental. Laurent Dumas est curieux de ce que les peintres et sculpteurs ont à dire, attentif à ce qu’ils lui racontent. Lors de sa séparation, c’est l’œuvre de Bram van Velde qui a tenu une place particulière. L’art « répare », aide à sa reconstruction, c’est un « un territoire d’apaisement et d’échanges », précise-t-il. « À partir de ce moment-là, il a acquis la conviction que les artistes ont une perception du réel que les autres n’ont pas », note Marc Vellay, l’un des artistes les plus proches de Laurent Dumas. Et cette perception est devenue un moyen de rencontrer, de soutenir, non sans se perdre un peu parfois. Les collectionneurs, du moins ceux qui ont le soucis de la cohérence et de l’authenticité, l’apprennent : le milieu de l’art peut vous happer pour des mauvaises raisons.
Les galeristes Claudine Papillon et Fabienne Leclerc le soulignent : « Son choix de soutenir la scène française, de l’artiste au galeriste, d’acheter plusieurs pièces d’un même artiste et sur différentes périodes, en a fait et en fait encore un collectionneur au profil de plus en plus rare aujourd’hui. » Si cet homme d’affaires a intégré que l’art et son accès au plus grand nombre forment un vecteur de positionnement et de développement de l’image de son entreprise, il n’en n’est pas moins sincère dans ses choix et implications. « Il soutient la scène française comme un entrepreneur responsable qui ne néglige aucun maillon de la chaîne. Il a un objectif, des stratégies. C’est l’entreprise qui a aussi formé sa manière d’être », mentionne Marc Vellay. Et c’est la construction de sa collection qui l’a conduit à s’intéresser au milieu de l’art, à ses forces, ses faiblesses et ses manquements et à vouloir s’y impliquer. Car pour Laurent Dumas « il est urgent d’être fier de ce qui se fait chez nous. Les Anglo-saxons, les Allemands, les Italiens soutiennent leur scène artistique. Pourquoi ne le faisons-nous pas suffisamment ? »
La création de la Bourse révélation Emerige dédiée à de jeunes artistes, la prise en charge d’une résidence en art plastique à la Villa Médicis, le soutien à la Nuit Blanche, le mécénat de compétence engagé avec la fondation Alberto et Annette Giacometti ou les commandes passées à Tobias Rehberger pour la future station de métro Pont-Cardinet aux Batignolles ou à Ronan et Erwan Bouroullec pour un kiosque présenté dans les jardins des Tuileries lors de la dernière Fiac sont à son crédit. Quand il aide l’édition d’un catalogue d’un artiste, verse le montant du prix Montblanc à l’association La Source de Gérard Garouste, qu’il soutient Vivien Roubaud (premier lauréat de la Bourse Révélation Emerige actuellement exposé au Palais de Tokyo) ou qu’il passe encore commande à Marc Vellay d’une sculpture pour sa propriété dans le Perche ou d’un ensemble de pièces pour le siège d’Emerige : la fidélité, la conviction en un talent, dessinent ici d’autres marques.
« Réinventer Paris »
Les prochaines évolutions du fonds de dotation Emerige sont liées aux deux projets retenus en juillet dernier dans la première sélection du concours d’urbanisme « Réinventer Paris », lancé par Anne Hidalgo. Le premier engageait l’architecte Dominique Perrault dans le projet d’une fondation pluridisciplinaire aux Batignolles, face au futur Palais de Justice. Le second concernait la reconfiguration des anciens locaux de services de la mairie de Paris du 17, boulevard Morland, par l’architecte David Chipperfield et le paysagiste Michel Desvigne. C’est ce dernier qui a été retenu au final le 4 février dernier pour son regroupement de bureaux, logements, crèche, auberge de jeunesse, hôtel, marché alimentaire, piscine et jardins associant des activités agricoles et un volet artistique qui intègre une intervention d’Olafur Eliasson (aux 15e et 16e étages de la tour) et la création de Paris Art Lab (programmation confiée à Marc-Olivier Wahler, cofondateur et directeur de Chalet). Si le patron d’Emerige se dit « enthousiaste » à propos du projet lauréat qui devrait être finalisé en 2020, le collectionneur mécène n’abandonne pas pour autant son autre idée de fondation pluridisciplinaire aux Batignolles. Et dans son entourage personne ne doute qu’il la concrétisera ailleurs.
1963 Né à Neuilly-sur-Seine
1989 Fondation de Transimmeubles
2008 Transimmeubles devient le groupe Emerige, qu’il préside
2010 Création de la Villa Emerige, lieu d’exposition d’art contemporain
2011 Acquisition de la Compagnie française de l’Orient et de la Chine
2014 Création du Fonds de dotation Emerige
2016 Lauréat du concours « Réinventer Paris »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Laurent Dumas, collectionneur et fondateur du Groupe Emerige
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Laurent Dumas, collectionneur et fondateur du Groupe Emerige