Laurent Busine

Directeur du MAC’s au Grand-Hornu

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2007 - 1432 mots

Laurent Busine fête les 5 ans du Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, en Belgique, une institution qui a fait le pari – gagné – de la proximité.

« Raconteur d’histoires » et « artisan ». Tel est le portrait que dresse de lui-même Laurent Busine, directeur du Musée des arts contemporains (MAC’s) du Grand-Hornu, en Belgique. « C’est un artisan calme et déterminé, un tisserand tout en délicatesse, une possibilité de résistance dans l’agitation, note pour sa part l’artiste Michel François. Sa vitesse, c’est son côté exigeant, radical, persévérant. Mais ce n’est pas quelqu’un qui s’agite. Il n’a pas l’ambition dévorante d’être le meilleur toutes catégories. » Avec son physique d’intello de gauche, il semble sorti d’un film de Nanni Moretti ou de la Terrasse (1980), d’Ettore Scola. L’intéressé, qui fut président de l’association Culture et démocratie de 1996 à 2000, confirme : « On ne peut pas être directeur de musée et être de droite. C’est une impossibilité intellectuelle car le musée est fait avec l’argent public et notre métier est de le rendre au public. » Le ton est donné. Pour cet homme chaleureux, l’art ne se dissocie pas de la vie, mieux, de la proximité. « Laurent parle de la vie autant qu’il parle d’art, il est très habité, renchérit l’artiste José Maria Sicilia. Il me touche aussi bien par sa culture que par ses gestes, son rire, sa drôlerie. » Face aux questions, Laurent Busine contourne plus qu’il ne biaise, digresse plus qu’il n’esquive. Son registre ? Le pointillé, le velouté poético-mélancolique perceptible jusque dans les titres de ses expositions, « Sisyphe, le jour se lève » (2006-2007) au MAC’s ou encore « Nous nous sommes tant aimés » en 1995 au capcMusée d’art contemporain, à Bordeaux. Sans parler de l’énorme sculpture d’Anish Kapoor baptisée Melancholia figurant dans les collections permanentes du MAC’s. On ne peut plus explicite !

Éclectisme
Tout comme la mélancolie, la douceur le caractérise. C’est ainsi qu’il parle avec une infinie tendresse de son « papa », dont la vie de peintre a conditionné le tempérament et les choix du fiston. « Je continue à faire à 56 ans ce que je faisais à 5 ou à 15 ans avec mon papa, monter des expositions, faire des catalogues, explique-t-il. C’est scandaleux qu’on me paye à jouer comme quand j’étais petit ! Je n’ai eu aucune coupure entre l’activité d’enfant et le métier d’adulte ! » De fait, ses expositions traitent souvent de la mémoire et du souvenir. Du paternel, qui réalisait aussi bien des tableaux que des vitraux pour les églises, Laurent Busine retiendra autre chose : ne pas créer de hiérarchie entre les arts.
Au Palais des beaux-arts de Charleroi, où il atterrit en 1978, il pétillera par son éclectisme. Promu directeur quatre ans plus tard, il montre ses artistes fétiches de l’Arte povera, tisse des liens avec le passé via des instruments de musique de Coimbra (Portugal) datant du XVIIe siècle, présente l’art brut avec la collection Prinzhorn, emprunte les voies, alors peu empruntées, du design avec une exposition Philippe Starck qui fera date. Mais déjà, l’idée d’un vrai musée doté d’une collection le démange. « On a eu les plus beaux Paolini, Tremlett a fait des murs, mais on n’a rien gardé, regrette-t-il. Dans cette région, il y avait trois cent cinquante musées de tout genre et aucun d’art contemporain. C’était soit un signe de frilosité, soit un oubli historique. C’était un peu des deux. » Ce musée, il mettra douze ans à le concevoir, l’enracinant au final dans le désert économique du charbonnage.
Que montrer, dans un contexte rude, à une population accablée par le chômage ? « J’avais un problème moral avec la première exposition. Comme il n’y a pas eu, durant cinquante ans, de musée d’art contemporain, on pouvait imaginer rattraper le temps perdu, confie Laurent Busine. Mais je me suis dit, ce n’est pas possible, je ne peux pas dire à la population “voilà ce que je connais et que vous ignorez”. Le but d’un musée n’est pas de mettre face à l’ignorance, mais de faire connaître. » Veillant à ne pas donner de leçons, le maître des lieux organise un vernissage particulier pour les « Voisins » des Corons. Lui qui vient de publier avec son équipe un Atlas de l’art contemporain à la portée de tous résume ainsi son travail : « Comment mettre en place des images pour que le visiteur ait la ferme conviction que je les ai mises là pour lui. »

« Architecture linéaire »
Le bâtiment du MAC’s suscite souvent une moue dubitative, certains relevant l’impossibilité d’une finesse dans la mise en scène. « C’est une architecture linéaire, qui correspond à la façon dont Laurent Busine conçoit ses expositions, comme une promenade, un passage par stations, comme un exposé ou un texte poétique », défend pour sa part Dirk Snauwaert, directeur du Wiels, centre d’art contemporain à Bruxelles. La poésie et la littérature gagnent en effet du terrain. Les nouvelles se sont ainsi substituées aux préfaces de catalogues. « Par la fiction, on peut dire beaucoup plus que dans un texte théorique qui assène des semblants de vérité », observe Laurent Busine. Cette attention qu’il porte au regardeur comme au lecteur, il l’exprime aussi envers les artistes. « Il est d’une grande disponibilité. Quand on a un rendez-vous, le temps ne compte pas, souligne Michel François. Il laisse place à de vrais échanges. » Et se retire sur la pointe des pieds une fois l’exposition montée. « Une exposition le rend malade, confie l’artiste Gérard Garouste. C’est le trac de la bonne santé. Il est toujours humble, ne se prend pour rien, pas même pour un conservateur de musée. Il n’est jamais envahissant ou directif, mais rigoureux. » Car malgré son physique de doux rêveur, Laurent Busine est un pragmatique. « On sait de quoi on parle, comment avancer. Il ne change pas d’avis toutes les trois minutes, travaille sans tension inutile », explique Caroline David, directrice des arts visuels à la municipalité de Lille.

Ressassement
Le rôle de Laurent Busine a longtemps été comparé en Wallonie à celui de Jan Hoet en Flandre. Face au boxeur de Gand, Laurent Busine n’a jamais cherché à monter sur le ring. « Je suis plus agressif, lui plus en retrait car il est plus poète, indique Jan Hoet. Il ne se positionne pas par rapport aux autres directeurs de musée. » Certains se plaignent du côté monopolistique commun à ces deux acteurs, de leur omniprésence dans les commissions. « Un musée, ce n’est pas couper le ruban le jour du vernissage, il faut se battre, réplique le responsable du MAC’s. J’ai l’impression que certains de mes collègues me reprochent ce qu’eux-mêmes n’ont pas voulu faire. » Laurent Busine a d’ailleurs réduit sa participation dans les commissions depuis quelques années. Les critiques, aujourd’hui anachroniques, reflètent un désenchantement plus profond. La faiblesse des équipements, pire, l’absence de politique culturelle en Belgique, ne permet pas à une nouvelle génération de passer aux commandes. Laurent Busine a aussi changé de costume, troqué sa fraîcheur pour un registre plus monocorde. D’aucuns regrettent le ressassement, l’effet de déjà-vu. « Il met Luciano Fabro à toutes les sauces. La programmation est dans le mou, dans une conceptualisation à outrance, rébarbative. Le MAC’s profite beaucoup de la programmation plus attractive du Grand-Hornu Images », note un observateur belge. « S’il y a ressassement, il est plus de l’ordre de l’atmosphère donnée au musée. C’est une décision de montrer Fabro, réplique le directeur. C’est l’idée de créer des repères, un fil rouge. » Et d’ajouter : « On est finalement toujours l’homme d’une même histoire ! » Une mythologie personnelle qui connaît de petites échappées avec les expositions confiées à son assistant, Denis Gielen.
Enfin, le moteur du projet initial, à savoir l’idée de collection, s’est effilochée en cours de route. Le faible budget d’acquisition, de l’ordre de 250 000 euros par an, y est pour beaucoup. Le fonds de cent cinquante numéros, qui brasse aussi bien Giuseppe Penone, Art & Language, Joachim Koester ou Sicilia, tient moins du trésor de guerre que des usuels dans une bibliothèque. Les œuvres ne font pas l’objet d’une présentation permanente, mais sont réquisitionnées en renfort dans les expositions temporaires.
Excentré, doté d’un modeste budget annuel de 3,1 millions d’euros, le musée, qui souffle cette année ses cinq bougies, n’est pas inscrit dans le parcours des amateurs. La fréquentation a décliné depuis 2003 malgré une légère hausse l’an dernier. Alors, pari raté ? Pas complètement, puisqu’il faut reconnaître à l’institution une réussite : celle de la proximité.

Laurent Busine en dates

1951 Naissance à Châtelet (Hainaut), Belgique. 1982 Direction du Palais des beaux-arts de Charleroi. 2002 Direction du nouveau Musée des arts contemporains (MAC’s) au Grand-Hornu. 2007 Anniversaire des 5 ans du MAC’s. Exposition « Des fantômes et des anges », 7 octobre-13 janvier 2008. 2008 Organise une exposition sur la Wallonie du XIIe au XIVe siècle au Palais des beaux-arts de Bruxelles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Laurent Busine

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