BIOTECHNOLOGIES - Dédiée aux « alchimistes de notre temps », la dernière édition d’Ars Electronica en septembre à Linz (Autriche) offrait de découvrir une œuvre troublante de l’artiste anglaise Gina Czarnecki.
Déjà présentée du 26 mai au 28 août dernier au Musée de la médecine à Copenhague, Heirloom (« héritage » en anglais) comptait un ensemble d’objets tenant tout à la fois de l’atelier du sculpteur et du laboratoire scientifique : d’un côté, des moules en plastique et en silicone, des modélisations 3D ; de l’autre, des cuves remplies d’un liquide rouge et des projections vidéos dévoilant un processus de transformation de la matière.
Les portraits juvéniles dont l’œuvre décrivait la fabrique sont ceux des deux filles de l’artiste ; après avoir prélevé leur ADN en 2014, Gina Czarnecki réplique inlassablement leurs visages d’adolescentes en faisant croître leurs propres cellules sur des masques de verre. Heirloom redouble en cela le lien qui unit l’artiste à ses filles, d’où le titre de l’œuvre : « cultiver » le visage de ses enfants revient pour l’artiste à les engendrer de nouveau, comme si la création esthétique était l’équivalent d’une mise au monde.
Ce n’est pas la première fois que cette chronique évoque la façon dont les biotechnologies redéfinissent les contours du portrait. On se souvient notamment des visages créés par Heather Dewey-Hagborg dans l’œuvre Stranger Visions, et que l’artiste établissait à partir d’échantillons d’ADN prélevés dans l’espace public, sur des cheveux, des mégots de cigarette, sur toutes ces traces biologiques que quiconque laisse involontairement derrière lui. Mais pour l’artiste américaine, ces portraits d’inconnus ouvraient surtout sur une réflexion quant à la banalisation du séquençage ADN et à ses conséquences sociales et politiques. Les visages produits affichaient d’ailleurs, jusque dans leur taille réduite, leur caractère de « visions », fondées sur l’interprétation de données génétiques somme toute limitées. Dans Heirloom, au contraire, la coïncidence du modèle et de sa représentation est totale : il ne s’agit pas d’interpréter le réel, mais de le reproduire le plus fidèlement et
le plus complètement possible, jusque dans sa composition matérielle, du tissu humain.
En cela, l’œuvre pousse à un degré supplémentaire la révolution inaugurée par le portrait photographique, dont la contiguïté avec le réel marquait une rupture avec le mimétisme pictural.
De la photographie, Gina Czarnecki prolonge d’ailleurs la principale caractéristique : sa capacité à fixer l’instant. Si l’œuvre exposée à Ars Electronica constitue une série de portraits vivants au sens propre du terme, elle n’a pas pour autant le caractère évolutif que pourrait laisser attendre sa manipulation du vivant. Certes, les portraits de Heirloom croissent, mais ils restent des instantanés, puisqu’ils cherchent à perpétuer ad vitam æternam un état donné de leurs modèles – ici, l’adolescence. C’est d’ailleurs l’une des vocations « scientifiques » de Heirloom, celle de conserver la jeunesse : au Musée de Copenhague, l’exposition incluait la possibilité pour le visiteur de scanner son visage et de l’agréger à une base de données dans laquelle puiser à l’avenir en cas de reconstruction faciale. Ou de simple désir de remonter le temps.
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L’alchimie du portrait
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : L’alchimie du portrait