Le Kunstmuseum de Bâle peine à démontrer ce que Mondrian, Barnett Newman et Dan Flavin ont en commun, si ce n’est d’être tous trois des maîtres de l’abstraction géométrique.
Bâle - Faut-il se déplacer à Bâle ? Sans aucune hésitation. Outre la formidable collection de son Kunstmuseum, c’est une occasion d’y visiter les trois expositions des artistes majeurs : Piet Mondrian, Barnett Newman, Dan Flavin. Dans l’ordre de leur présentation, c’est le pionnier hollandais de l’abstraction qui ouvre le bal avec une quantité impressionnante d’œuvres de qualité. La distribution entre les deux salles qui lui sont consacrées est toutefois curieuse ; dans l’une, les tableaux sont déployés de façon exemplaire, laissant un espace de respiration qui permet de contempler chaque toile ; dans l’autre, l’accrochage serré ne laisse pas au regard la possibilité de se poser tranquillement. Selon une logique chronologique, ce sont les travaux de Newman qui suivent. Si, là encore, il s’agit d’œuvres importantes de la période abstraite de l’artiste américain, on regrette le peu de toiles en provenance des États-Unis. On s’imagine facilement les difficultés de pareille expédition, mais on peut rêver. Le dernier, Dan Flavin, a droit à un nombre plus limité d’œuvres, mais qui sont parfaitement disposées. Ses tubes fluorescents (et non pas ses néons, comme on l’écrit souvent) et leurs couleurs électriques, forment un bain lumineux qui abolit les frontières entre l’environnant et l’environné. Trois artistes exceptionnels donc – chacun représenté par un ensemble remarquable. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur du monde ? Pas tout à fait, car en réalité il ne s’agit pas de trois expositions différentes, mais bien d’une seule manifestation, avec comme ambition de montrer les liens entre ces créateurs qui ont « osé l’ascèse des moyens plastiques, couleurs et formes se référant plus qu’à elles-mêmes ». Soit, mais quand on continue la lecture du document qui présente cette manifestation (et jusqu’à l’article principal du catalogue), on reste perplexe. Ainsi : « Le parcours de l’exposition comprend trois expositions personnelles en soi », mais : « La suite chronologique de ces trois présentations compose une scénographie, où se révèlent des correspondances particulièrement éclairantes entre analogie et contradiction avant qu’elles ne s’assemblent en un tout cohérent. » Autrement dit, la quadrature du cercle.
Comparaison n’est pas raison
Si le rapprochement entre différents ténors de l’abstraction qu’on peut qualifier de géométrique est tentant, il faut avouer que sur le plan visuel leurs œuvres sont bien éloignées. Plus encore, c’est le contexte de leur production plastique qui accentue ces divergences. Même si Mondrian et Newman partagent l’idée que la non-figuration est nourrie par la spiritualité, ils en ont clairement une vision différente. Le premier, calviniste et théosophe, réalise des configurations qui respectent religieusement les rencontres orthogonales entre les lignes et les couleurs primaires. Ces toiles, qui ne laissent rien au hasard, sont des modèles utopiques pour une société à venir, équilibrée et sereine. Le second, fasciné par la kabbale, peint des tableaux de taille monumentale, où le contraste entre les lignes étroites et zigzagantes (le zip) et les surfaces vastes qui s’étendent cherche à produire l’effet immédiat du sublime. Il suffit d’ailleurs de remarquer les titres pratiqués par Newman (Here, Now, The Moment) pour constater que, par son appel au présent, il semble faire du sublime le projet de toute une génération d’artistes.
Avec Flavin, la situation se complique davantage. Sans qu’on puisse douter de l’admiration qu’il porte à son prédécesseur – l’œuvre de 1971, dédiée à Newman, en témoigne –, l’artiste est surtout fasciné par les avant-gardes russes. Ce n’est pas une simple coïncidence s’il réalise la série d’hommages à Tatline et à son monument constructiviste à la Troisième Internationale. Flavin, comme les autres minimalistes, cherche à dégager sa production de toute interprétation extra-artistique, y compris spirituelle, afin d’obliger le spectateur à envisager l’œuvre uniquement dans ses qualités plastiques. En d’autres termes, la phénoménologie est passée par là. Certes, il est difficile de séparer la lumière de sa tradition mystique. Pourtant, malgré la luminosité subtile que dégagent ses travaux, Flavin déclare : « Jamais mes tubes fluorescents ne brillent de désir pour un dieu ! »
Commissaire : Bernhard Mendes Bürgi, conservateur en chef et directeur du Kunstmuseum Basel
Nombre d’œuvres : 40
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L’abstraction en trois tons
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 19 janvier, Kunstmuseum, St. Alban-Graben 16, 4010 Bâle, Suisse, tél 41 (O) 61 206 62 50, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf mardi 10h-18h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : L’abstraction en trois tons