PARIS
Le Palais de Tokyo consacre son exposition de rentrée à une scène française dynamique, mais sans doute encore méconnue. Une initiative trop rare ?
Chaque présidence du Palais de Tokyo aura été marquée par une grande exposition autour de la scène artistique française. Après « Notre Histoire », en 2006, et « Dynasty », en 2010, voici cet automne « Futur, ancien, fugitif », une initiative de Jean de Loisy que l’ancien président du centre d’art, parti depuis à l’École des beaux-arts de Paris, n’a pu accompagner jusqu’à son terme. Programmée à partir du 16 octobre 2019, l’exposition emprunte son titre à un ouvrage de l’écrivain Olivier Cadiot. « Futur », pour l’idée d’un « horizon projeté », « ancien » pour « ce qui le nourrit » et « fugitif » enfin, renvoyant à « un présent difficile à cerner », explique Franck Balland, l’un des quatre co-commissaires.
L’événement réunit quarante-quatre artistes et collectifs ; une affiche forcément partielle qu’il sera tentant de juger partiale. L’équipe curatoriale (Franck Balland, Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc et Claire Moulène) préfère pour sa part mettre l’accent sur les liens suggérés, parfois invisibles, entre ces différents univers artistiques, qui dessinent par capillarité les contours d’une scène « à un instant T ». L’inscription territoriale a cependant moins défini le périmètre de recherche que la volonté de rassembler plusieurs générations d’artistes, de Jean Claus, né en 1939, à Agata Ingarden, la benjamine de l’exposition âgée de 25 ans. Une certaine discrétion, voire un goût de la marge, est commune à la majorité d’entre eux : la moitié n’ont pas de galerie.
Alors qu’en 2006 « Notre Histoire », orchestrée par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, se voulait tournée vers l’avenir et qu’en 2010, « Dynasty », collaboration entre le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et le Palais de Tokyo alors dirigé par Marc Olivier Wahler, signalait un engagement envers « la création émergente », « Futur, ancien, fugitif » fait le choix de rassembler les anciens et les nouveaux « colocataires » de la scène hexagonale. Entre-temps, en effet, les objectifs assignés au Centre d’art ont changé, le mandat de Jean de Loisy spécifiant qu’il s’agissait d’y montrer « l’ensemble de la scène nationale dans un paysage international ».
Pourquoi avoir attendu si longtemps – près de dix ans – pour organiser une nouvelle exposition dédiée à la scène française ? « Cela me semblait nécessaire, mais pas urgent », répond Jean de Loisy, qui rappelle les dispositifs mis en place par l’établissement, et dont ont bénéficié, selon lui, de nombreux artistes travaillant dans l’Hexagone, ou y ayant étudié et vivant à l’étranger. Créé par Marc Olivier Wahler, le programme des « Modules » a ainsi consisté à inviter chaque mois deux ou trois artistes de la jeune scène émergente en France. Il fut poursuivi jusqu’en 2015 avec le soutien de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, et a permis de faire connaître des nouveaux talents tels que Mimosa Echard, Clément Cogitore, Hicham Berrada, Clément Rodzielski, Laëtitia Badaut Haussmann, etc. Jean de Loisy instaura quant à lui une politique d’expositions « hors les murs » ayant pour vocation « d’exporter » les jeunes artistes français, en parallèle de grandes manifestations internationales et en dialogue avec les scènes locales. Par exemple, en 2018, pendant la Biennale de Gwangju ; en 2017, en off de la Biennale d’architecture de Chicago ; mais aussi à Athènes au moment de la Documenta ; à Hong Kong pendant Art Basel…
Dans les espaces du centre d’art, les monographies consacrées à des artistes en début de carrière ont par ailleurs contribué à lancer, entre autres, Neil Beloufa, David Douard et Marguerite Humeau. Céleste Boursier Mougenot ou Laure Prouvost ont pour leur part présenté des projets spécifiquement produits. On peut citer également les « Cartes blanches » confiées à deux reprises à des Français : Philippe Parreno, puis Camille Henrot. Ou encore les solo shows d’artistes en milieu de parcours qui ont mis à l’honneur Fabrice Hyber en 2012, Michel François l’année suivante. Les « Anémochories », enfin, programme d’œuvres in situ dans le bâtiment, se sont traduites elles aussi par plusieurs invitations dans ce sens, comme celle faite à Ulla von Brandenburg. Sa peinture au sol évoquant en trompe-l’œil un rideau à motif Arlequin (Death of a King) a constitué une étape importante de son parcours ; le Palais de Tokyo accueillera d’ailleurs bientôt sa première rétrospective. Les autres invités comptent des artistes tels que Isabelle Cornaro, Emmanuelle Lainé, ou l’Américaine Sheila Hicks, qui vit à Paris depuis la fin des années 1950. En 2014, son intervention dans la Grande Rotonde avec une installation à base de fibres tissées, colorées et sculptées suscita un regain d’intérêt pour sa démarche. À défaut de quotas donc, c’est un équilibre « intuitif » entre scène nationale et internationale qui a été ménagé, s’agissant aussi bien d’expositions personnelles que collectives.
Tenu de présenter des figures historiques oubliées, le Palais de Tokyo a également en 2013 mis les pleins phares sur l’œuvre de Julio Le Parc. L’artiste argentin installé de longue date en France était alors âgé de 85 ans ; trois ans plus tard, la Galerie Perrotin lui consacrait une exposition personnelle dans son espace new-yorkais. Faut-il y voir un lien de causalité ? Véritable « caisse de résonance pour les artistes », selon la formule de Daria de Beauvais, le lieu assure en effet à ceux qui y exposent une visibilité accrue. Pas sûr que cela ait rendu service à Camille Henrot, dont l’exposition figée reçut en 2017 un accueil critique mitigé. Mais d’autres ont su profiter de cette opportunité, tel Philippe Parreno qui, à la suite de « Anywhere, Anywhere Out of the World » (2013-2014), enchaîna avec la prestigieuse Hyundai Commission pour une exposition intitulée « Anywhen » dans l’ancienne salle des machines de la Tate Modern à Londres.
Cette fonction de vitrine, voire de tremplin, est-elle suffisamment assurée par les musées français ? Non, déplorent certains professionnels de l’art, en particulier les galeristes, qui estiment que la préférence accordée aux créateurs étrangers se fait aux dépens du rayonnement de la scène hexagonale. Le soutien institutionnel ferait-il défaut à nos artistes ? C’est plutôt « le défaut d’institutions » dont il est question, selon Jean de Loisy. D’après l’actuel directeur de l’École des beaux-arts de Paris, peu de musées auraient la force d’imposer un artiste internationalement. « Si vous voulez promouvoir un artiste, vous ne pouvez pas vous contenter de montrer des objets déjà vus sur les foires ou les biennales. Vous devez lui donner les moyens de produire. » Jusqu’à réinventer parfois la notion même d’exposition, comme ce fut le cas avec Neïl Beloufa et la scénographie complexe déployée au Palais de Tokyo dans le cadre de son projet « L’Ennemi de mon ennemi », où œuvres, documents, images et autres artefacts étaient déplacés en permanence par des robots, « selon un scénario de type algorithmique » afin de littéralement faire bouger les lignes, de susciter de nouvelles associations, perspectives et des significations inédites. Cette ambition n’est hélas pas toujours au rendez-vous. Et même quand le Centre Pompidou choisit de consacrer une rétrospective à Pierre Huyghe, on peut se demander pourquoi celle-ci, remarquablement réussie, se tient dans la galerie Sud et non au cinquième étage du musée.
Il est vrai que le modèle du Palais de Tokyo est unique en son genre. Il autorise en effet un financement mixte public et privé, ce dernier assurant plus de la moitié de son budget de fonctionnement à travers le mécénat d’entreprises, mais aussi grâce à la location événementielle. Ce à quoi viennent s’ajouter les concessions des restaurants, de la librairie et du club Yoyo.« Cette capacité à générer ses ressources propres a avoisiné les deux tiers du budget sous ma présidence », se félicite Jean de Loisy. Le statut inventé par Christopher Miles et Olivier Kaeppelin a donc été la chance du Palais. Quand a contrario, souligne son ancien président, « les lourdeurs du système administratif français et le handicap infligé aux institutions faute de créativité juridique sont stupéfiants. Nous leur devons une partie de nos échecs ».
Reste que, depuis ces dernières années, « la scène artistique française est ultra dynamique », comme l’observe Daria de Beauvais, qui évoque la multiplication des artists run spaces et des espaces non commerciaux, mais aussi la présence de nombreux artistes internationaux qui viennent s’installer en France. Il faut sans doute voir dans cette attractivité un signe positif.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La scène française (enfin) aux marches du Palais
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : La scène française (enfin) aux marches du Palais