À Marseille, le MAC consacre à Julien Blaine une exposition qui met en lumière ses expérimentations autour du langage et l’expulsion des mots hors du champ des lettres.
MARSEILLE - L’art de Julien Blaine consiste en un foisonnement, un flot constant d’informations, d’images, de sons, d’objets, de traces de performances, de documents de nature variée avec lesquels l’observateur doit jongler pour tenter de suivre les méandres d’une pensée en ébullition. Sur un caisson installé à l’extérieur du musée de Marseille accueillant sa monographie, ces mots mettent d’ailleurs en garde quiconque aurait peur de s’y perdre : « Il est encore temps de rebrousser chemin. » Le MAC-Galeries contemporaines des musées de Marseille témoigne en effet de cette profusion en consacrant quelques-unes de ses salles au poète qui lui a donné naissance en 1993, quand une véritable politique culturelle existait encore dans la ville et où les musées n’étaient pas exsangues et moribonds. Car l’adjoint à la culture du maire de l’époque, Robert Vigouroux, était un certain Christian Poitevin, dont le patronyme à la ville et les responsabilités officielles n’ont jamais occulté un nom de scène : « Julien Blaine ».
L’analogie avec le théâtre est commode pour tenter d’approcher la pratique d’un homme truculent à souhait, considéré comme l’un des pères de ce que l’on qualifie de « poésie action », et chez qui toujours point une gourmandise insatiable et non feinte pour la mise en scène. Il n’est pas étonnant dès lors que ce dernier ait décidé de revenir au musée chaque jour que durera l’exposition afin de réactiver toute une série de performances. Si, pour chacune de ces interventions, l’acte lui-même et la façon de l’exécuter ou de le décliner constituent le poème, la matière en est le plus souvent constituée de « presque riens », de ces éléments anodins du quotidien et de l’environnement qui deviennent des fragments de langage et des occurrences poétiques. À l’instar d’une chute – programmée – dans les escaliers de la gare Saint-Charles à Marseille, où, à côté de la vidéo montrant l’artiste en pleine… chute, est accrochée une photo de la scène mentionnant que le corps est un « caractère » et les marches, des « lignes » (La Chute, 1982). Ou de ce traitement d’un fait divers effroyable – l’assassinat de sept personnes dans un hôtel d’Avignon par un dénommé Roussel présentant quelque ressemblance physique avec l’artiste – qui le conduit à repeindre les journaux relatant l’événement et à transformer le point d’exclamation d’un panneau de danger en point d’interrogation (Simulacre de massacre, 1983).
Empreintes palmaires
Pour rester vivant, le langage selon Blaine doit être bricolé, voire bousculé, ainsi qu’en témoigne un « poème cible » potentiellement composé grâce aux impacts d’une arme (Target poem, 1967). Ou encore cette belle série d’affiches où des poèmes tentent de retrouver une forme à travers l’écriture, tout en questionnant image et prononciation. Une manière de passer à la gestualité et à l’oralité en inventant de nouveaux signes (Fables, 2002-2008).
En recherche permanente, Julien Blaine explore avec bonheur les domaines de la traduction et de l’apprentissage. Ainsi dans ces totems où s’empilent des visages de cultures différentes dont les bouches offrent des ouvertures aux formes variées (Totem des cinq continents : murmurer, parler, hurler, 2000). Ou encore à travers ces travaux inspirés d’une relecture des écrits originels que sont les écritures aziliennes, toujours énigmatiques, exécutées sur des galets. Des correspondants du monde entier ont envoyé à l’artiste des images de leur environnement accolées à des photos de leurs mains couvertes de peinture (Azil, 2007), clichés ici mis en relation avec des galets portant des empreintes palmaires de couleur (Écritures aziliennes, 2008). Autant d’échanges qui inscrivent l’action poétique dans un contexte universel où, si les choses ne sont jamais placées sur un niveau d’équivalence afin de ne pas gommer leurs singularités, elles entretiennent une forme de compréhension commune formidablement dynamique, qui laisse le curieux sentiment d’avoir compris ce que l’on n’a pas compris !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La poésie au large
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : La poésie au large