Rétrospective

La métamorphose du vide

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 659 mots

Une belle exposition consacrée à Richard Deacon éclaire la pratique du sculpteur… au-delà de la sculpture !

STRASBOURG (BAS-RHIN) - "C’est une expérience curieuse que de voir un objet matériel et, en même temps, de voir un vide." Ainsi s’exprime Richard Deacon à propos de son Laocoon (1996), sculpture monumentale assemblant des sections de bois entre lesquelles court le vide, qui figure au nombre des travaux réunis dans la rétrospective que lui consacre le Musée d’art moderne et contemporain de la Ville de Strasbourg. L’alliance du plein et du vide et le rôle constructif de ce dernier, questionnement devenu traditionnel si ce n’est classique dans le champ de la sculpture, relève aussi d’une dichotomie constitutive. Or, tout l’art du sculpteur gallois semble être porté par une alliance gourmande de contraires et d’oppositions.

La grande salle du musée dévolue aux expositions temporaires en témoigne ardemment : sur quelque 600 mètres carrés s’y déploient remarquablement quatorze sculptures de toutes époques, qui en un mouvement du regard permettent d’embrasser l’inventivité, la complexité, l’ingéniosité d’un œuvre qui assume pleinement sa nature instable et transformationnelle. Une nature qui fait écho aux propos de la curatrice Clarrie Wallis qui, dans le catalogue, affirme que "chez Deacon, le caractère instable de la frontière entre la "forme" et "l’informe" est une réflexion constante depuis quelques années". Les exemples d’oppositions de langage abondent : un curieux volume de bois se trouve enserré dans une coque de PVC (Border (Lange), 1991), la finesse de quelques lattes en lamellé-collé qui s’élèvent élégamment est contrariée par les trop-pleins de colle restés à la surface (Untitled, 1981), sur du bois cintré est insérée de la marqueterie alors que des plaques de métal rivetées sont appliquées au revers (Lock, 1990), des plaques de polycarbonate chauffées et soudées donnent naissance à une forme organique répondant au titre explicite de Beauty and the Beast (1995)… Toujours sont laissés apparents les modes de fabrication ou d’assemblage, manière d’insister sur une sensibilité et une attention extrêmes portées à l’endroit de la matière, dont l’artiste s’expliquait ainsi dans un entretien au Journal des Arts (no 280, 25 avril 2008) : "C’est un intérêt pour le vocabulaire, et d’insister sur la relation entre le processus de travail et la matérialité du monde."

De vocabulaire il est question dans la seconde partie de l’exposition. Y sont dispersés quelques sculptures encore – dont un admirable assemblage de planches de contreplaqué et d’aggloméré de jeunesse qui ne renie pas sa filiation à Donald Judd (Untitled #2, 1975) –, mais surtout nombre de documents et travaux graphiques venant éclairer un souci constant, dès les années d’étude à la Saint Martins School of Art de Londres. En témoignent des photos relatives à des performances estudiantines, où la question formelle s’attache à l’élaboration d’un langage. À commencer par cette action de mars 1969 intitulée I don’t want, où les éléments disparates d’une sculpture sont reliés par une corde et promenés dans la rue par une chaîne humaine.

L’accrochage révèle par la suite des séries de dessins ou de gravures qui, à quelques exceptions près, ne constituent pas à proprement parler des éléments préparatoires à la sculpture, mais contribuent à forger des éléments syntaxiques. Certains très géométriques évoquent des pièces en volume (Alphabet, 2005), quand nombre d’autres, très divers, au profil souvent organique, semblent s’apparenter à des exercices d’écriture, à des gammes (Untitled Drawings, 1996). Jusqu’à ces gravures figurant des légumes devenus anthropomorphes qui prennent appui sur un autre objet ou tout simplement sur l’espace, sur le vide, qui leur donne alors une autre consistance (A Curious Potato, Another Curious, Carrot…, 1992). Et si Richard Deacon était devenu l’artisan d’une véritable métamorphose du vide ?

RICHARD DEACON. THE MISSING PART, jusqu’au 19 septembre, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, www.musees-strasbourg.org, tlj sauf lundi 12h-19h, jeudi 12h-21h, samedi et dimanche 10h-18h. Cat. éd. des Musées de Strasbourg, 320 p., 250 ill., 45 euros, ISBN 978-2-3512-5082-2

RICHARD DEACON

Commissariat : Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des Musées de la Ville de Strasbourg ; Estelle Pietrzyk, conservatrice du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ; Ulrich Krempel, directeur du Sprengel Museum de Hanovre
Nombre d’œuvres : environ 140

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : La métamorphose du vide

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