« Trop humaine », cette exposition l’est sans complaisance tant les corps apparaissent dans leur variété et parfois leur crudité les plus affirmées.
Réunis autour des deux figures emblématiques de la peinture britannique du XXe siècle que sont Lucian Freud (1922-2011) et Francis Bacon (1909-1992), dix-neuf peintres figuratifs des XXe et XXIe siècles, presque tous britanniques, et un sculpteur, Giacometti, permettent d’appréhender quelques facettes de l’extrême diversité des regards sur la condition humaine portés par les artistes depuis un siècle en Occident. Dans la première salle, trois petits tableaux de Chaïm Soutine (1893-1943) – pas des plus remarquables, mais Soutine apparaît aujourd’hui comme une caution d’authenticité – cohabitent avec deux portraits de Sir Stanley Spencer (1891-1959) et trois toiles de David Bomberg (1890-1957). Hors le matériau utilisé par les artistes (la peinture à l’huile sur toile), rien ne relie ces cristallisations de présences humaines. Une dense matière picturale modèle le visage de la Femme polonaise de Soutine, à l’opposé des corps et des visages rigoureusement lisses de Sir Stanley Spencer, un peintre hélas bien mal représenté dans cette exposition : aucune de ses scènes bibliques, érotiques ou satiriques, pourtant si humaines, n’y figure ! Idem pour David Bomberg, dont l’œuvre ne se limite pas à cet élégant matiérisme des années 1930. Par contre, Bacon et Freud sont généreusement et magnifiquement présents. Des artistes moins connus en France sont également bien mis en lumière, tels Francis Newton Souza (1924-2002), Leon Kossof (né en 1926), Frank Auerbach (né en 1931) et, particulièrement remarquable, Paula Rego (née en 1935), dont chaque tableau apparaît comme un impitoyable instantané de la comédie humaine. Dans la dernière salle, sept toiles d’artistes plus jeunes, toutes des femmes, témoignent de la vitalité contemporaine de la peinture figurative. Particulièrement saillantes, deux œuvres de Cecily Brown (née en 1969) confirment, s’il en était encore besoin, que la peinture sur toile non seulement n’est pas morte, mais qu’elle peut être aujourd’hui encore radicalement humaine et féconde.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : La force de la peinture figurative en Angleterre