PARIS
Les galeristes parisiens Didier et Clémence Krzentowski se séparent de leur collection de photographies chez Phillips à New York. Un ensemble d’images devenues au fil des années très à la mode
Cindy Sherman, Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, les Becher… La collection de photos que le marchand de design parisien Didier Krzentowski cède chez Phillips le 11 novembre ressemble à s’y méprendre à la dream list d’une collection fashion. À une différence près. Ces photographes sont certes à la mode et, pour certains, sur la crête du marché. Mais ils ne l’étaient pas quand le directeur de la galerie Kreo a commencé à les acheter voilà une quinzaine d’années. La collection compte d’ailleurs d’autres noms que le marché n’a pas encore captés, comme Tania Mouraud ou Michel François. « C’est le reflet de la personnalité de Didier, en avance de plusieurs longueurs par rapport au goût général, analyse l’auctioneer Simon de Pury. C’est une collection différente de certaines autres standardisées, car il l’a formée pour vivre avec. » Pourquoi décide-t-il alors de tourner la page ? « Je me suis rendu compte que, depuis dix ans, j’achetais peu d’art contemporain, que je n’évoluais pas, indique l’intéressé. J’ai voulu tout vendre pour recommencer. Cette collection est un puzzle. Quand on enlève deux pions, il faut que tout parte. »
Le choix de Phillips surprend, lorsque l’on connaît les liens entre Didier Krzentowski et François Pinault, propriétaire de Christie’s et également collectionneur de design. « Phillips vend du design, de l’art contemporain et de la photo. Son histoire est assez proche de la mienne », remarque le galeriste. On s’étonne aussi que l’ensemble de quatre-vingt-dix lots soit morcelé en deux dispersions, en novembre 2005 et en mars 2006, au moment de l’Armory Show, la foire d’art contemporain de New York. « Le but est d’être incisif, rapide, “successful”, explique Olivier Vrankenne, responsable de la vente. En mars, dans le cadre des “Saturday Sales”, on mélange design, photo et art contemporain. La semaine de l’Armory Show amène d’autres types de collectionneurs, qui achètent à partir de 500 dollars. » Le meilleur est ainsi à découvrir en novembre.
Record pour Sherman
Cette décision s’avère aussi pragmatique. Il serait en effet dangereux de déverser sur le marché un trop grand nombre d’œuvres, notamment de Nan Goldin. Marotte de la collection, cette photographe connaît une cote en demi-teinte. En 1991, Didier Krzentowski achète la quasi-totalité de sa première exposition en France, organisée simultanément par Gilles Dusein à la galerie Urbi et Orbi et Agnès b. à la Galerie du Jour, à Paris. Les prix voguent alors autour de 200-300 dollars. On retrouve dans la vente deux spécimens estimés cette fois entre 5 000 et 7 000 dollars (4 100-5 800 euros). La fourchette est identique pour Roommate in her Chair, Boston, 1972, une photo en noir et blanc, achetée pour 12 000 francs en 1997 à Paris chez Yvon Lambert.
Choisie pour la couverture du catalogue, la pièce maîtresse de la vente est un Cindy Sherman en noir et blanc de 1977, tiré à trois exemplaires (150 000-200 000 dollars). Didier Krzentowski l’avait acheté pour 28 600 dollars, près de cinq fois son estimation, en février 1991 chez Christie’s. Les prix ont depuis explosé. En novembre 2004, la vente « Veronica’s Revenge » chez Phillips engrange le record de 478 400 dollars pour une photo de Cindy Sherman en couleurs de 1981. Presque le double de sa valeur en 2000 ! Sans présager de tels sommets, Olivier Vrankenne table sur un potentiel de 200 000 à 250 000 dollars.
Seconde collection
Didier Krzentowski a aussi lorgné du côté de l’affreux jojo de la Côte ouest, Paul McCarthy, dont la cote a progressé depuis l’exposition au New Museum de New York en 2000. Une peluche rose défraîchie : tel est le sujet de Pink Dog, une photo de 1992 éditée à trois exemplaires. Achetée au milieu des années 1990 pour environ 30 000 francs chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris, elle est aujourd’hui estimée 40 000-60 000 dollars. Des prévisions qui s’alignent sur l’enchère de 52 800 dollars enregistrée lors de la vente « Veronica’s Revenge » pour une photo de la même cuvée.
Les estimations de la vente sont globalement raisonnables, exception faite de celle de Rolex, un Ektacolor de Richard Prince. Achetée dans une vente aux enchères chez Cornette de Saint Cyr en
octobre 2002 à Paris pour 8 664 euros, cette photo avait été ravalée à plusieurs reprises en 2001. Elle n’en est pas moins proposée pour la somme rondelette de 40 000-60 000 dollars.
Trois dessins de Karen Kilimnik, chouchou des fashionistas, jouent les ovnis dans cet ensemble photographique. Deux de ces feuilles avaient été vendues en 1997 entre 1 300 et 1 800 dollars par la galerie athénienne Rebecca Camhi. L’une des toiles de l’artiste, représentant la sulfureuse héritière américaine Paris Hilton, était proposée pour 150 000 dollars sur la Foire de Bâle en juin ! Plus raisonnablement, les dessins présentés par Phillips affichent 15 000 à 20 000 dollars, en adéquation avec les tarifs exigés par les galeries de Kilimnik sur la foire londonienne Frieze.
Sans attendre les résultats d’une vente dans laquelle il retrouvera ses billes, Didier Krzentowski a déjà débuté une seconde collection. Celle-ci brasse une Light Box du Californien Sam Durant et des sculptures de Richard Jackson et Tatiana Trouvé. Sur la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) à Paris, il avait succombé devant une sculpture de Ceal Floyer, Throw. Ses achats se sont poursuivis sur Frieze Art Fair à Londres avec Live in Leeds de Jeremy Deller et Thank you Silence de Ugo Rondinone. Didier Krzentowski est-il désormais en avance, ou en phase avec le goût ambiant ? L’avenir nous le dira.
- Expert : Phillips - Nombre de lots : 43 - Estimation globale de la collection (une partie sera dispersée en mars 2006) : 800 000-1 million de dollars (662 000-827 000 euros)
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La « dream list » des Krzentowski
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Abonnez-vous dès 1 €11 novembre, Phillips, de Pury & Company, 450 West 15 Street, New York, tél. 1 212 940 1200 ; exposition : du 1er au 10 novembre, www.phillipsdepury.com
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : La « dream list » des Krzentowski