Le talent explosif de Camille Henrot élude une exposition internationale un peu terne. Après l’édition 2011 de la Biennale de Venise qui avait franchement déçu, l’édition 2013 suscitait bien des attentes.
VENISE - Si les pavillons nationaux font preuve d’une belle vitalité et laissent la marque d’un très bon cru, l’exposition internationale partagée entre le pavillon central des Giardini et les immenses espaces de l’Arsenal, à quelques centaines de mètres du site précédent, déçoit quelque peu. L’exposition n’est pas à la hauteur du sublime espace offert à la manifestation et du dispositif de monstration qui se révèle, lui, généralement irréprochable – à l’exception de cartels trop peu lisibles dans de nombreuses salles, où ils sont présentés dans une semi-obscurité préjudiciable.
Le « Palais encyclopédique » ainsi présenté cette année, selon le titre donné à la manifestation par son commissaire général, le jeune Italien installé à New York Massimiliano Gioni, manque de consistance, tant par le propos d’ensemble que par bien des œuvres présentées dans la sélection. Difficile de comprendre l’enchaînement des salles et l’accrochage ne manque pas d’œuvres évitables, qui n’apportent rien de nouveau. Pour une biennale d’art contemporain, c’est gênant, d’autant que la belle vitalité des pavillons nationaux cette année vient cruellement le rappeler. On pourra s’étonner que les cartels – encore eux ! – ne signalent même pas le lieu de résidence actuel des artistes, mais seulement leur pays de naissance. C’est bien mince pour renseigner sur l’environnement de création, certains artistes, apparemment intégrés à des scènes assez périphériques ou même, parfois, franchement exotiques pouvant avoir rejoint, de plus ou moins longue date, des scènes plus centrales, celle de New York en particulier. Le soupçon s’impose d’autant plus que le poids des États-Unis apparaît écrasant, très loin devant tous les autres pays, dans la sélection internationale. Cela se renforce encore dans la section dont le commissariat a été confié à l’artiste star américaine Cindy Sherman. Certes, les œuvres choisies par cette dernière sont souvent intéressantes pour illustrer sa propre démarche de création, ses influences et la parenté avec son propre travail, mais se limitent tellement aux seuls États-Unis que cela ne manque pas d’interpeller. Dans une biennale aux ambitions aussi vastes que celle de Venise, il est regrettable de ne pas élargir sa vision au-delà de son pays d’origine.
De l’art brut omniprésent
Frilosité palpable donc, dans l’inscription géographique des artistes retenus. Le seul vrai parti pris, risqué et qu’il convient de saluer, est d’avoir intégré avec force l’art brut à cette manifestation. L’édition 2013 de la Biennale de Venise devrait satisfaire les amateurs de cette forme d’expression, tant celle-ci est représentée, puisqu’elle s’empare de la quasi totalité du pavillon central des Giardini et figure aussi en bonne place dans l’enceinte de l’Arsenal. Toutefois, l’art brut est représenté par des créateurs au talent très inégal, c’est évidemment dommage. Ressortent nettement les œuvres d’Augustin Lesage et de Rudolf Steiner aux Giardini, tandis qu’à l’Arsenal triomphent les superbes sculptures en terre cuite figurant des animaux créés par l’artiste autiste japonais Shinichi Sawada, issues de la très sérieuse Collection de l’Art Brut de Lausanne.
Parfois dans la Biennale, le dispositif d’exposition semble primer sur les œuvres elles-mêmes, notamment dans celles qui font l’objet de séries, sous vitrines ou accrochées aux murs. La part d’œuvres déjà anciennes, produites durant la première moitié du XXe siècle et élevées au rang d’art contemporain par la seule grâce du commissaire, apparaît très excessive. On aimerait comprendre pourquoi. Voici ainsi une biennale qui nous semble étonnamment lointaine de notre époque et de ses véritables préoccupations. Ces emprunts aux périodes passées seraient aisément pardonnables si les œuvres étaient suffisamment fortes, mais tel n’est pas toujours le cas, loin de là. Cette déconnexion avec la contemporanéité apparaît d’autant plus étonnante que les vidéos sont très nombreuses et généralement fort bien montrées. La peinture, elle, en dehors de l’art brut, apparaît bien pauvre, comme si, aux yeux du commissaire, ce médium avait disparu. Il existe pourtant ! À l’inverse, la sculpture est très présente, souvent dans sa dimension figurative, représentant des sujets humains.
Un Lion d’argent irrésistible
C’est donc la vidéo que l’on retiendra de cette édition de la Biennale de Venise. La vidéo ou plutôt une vidéo. Celle de la jeune artiste française Camille Henrot, âgée de 35 ans. Elle livre dans Grosse fatigue un habile, intelligent, et fascinant travail sur le son et les images qui met en scène, de façon époustouflante, le rapport contemporain au savoir et à la culture via Internet. C’est de très loin cette œuvre qui résonne le plus par rapport à notre expérience la plus actuelle, alors que, dans cette biennale d’art (contemporain…), bien des œuvres semblent étrangement renvoyer à un monde révolu de longue date. Dans l’œuvre de Camille Henrot, on assiste, bluffé, et même comme enivré, à des images d’écrans qui se succèdent et s’emboîtent. On se souviendra longtemps de ces mains de femme aux ongles peints de couleurs les plus improbables qui nous présentent des objets et nous proposent d’accéder à cette connaissance qui, aujourd’hui, partout, à tout moment, via Internet, s’offre à nous. La maîtrise est telle que pratiquement tout le reste de l’exposition internationale semble comme balayé. Camille Henrot s’est vue attribuer le Lion d’argent de la Biennale de Venise récompensant un jeune artiste prometteur. Une évidence absolue. En cela, la Biennale de Venise n’a nullement déçu.
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La Biennale de Venise à deux voix : Déconvenue
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Abonnez-vous dès 1 €Le point de vue Frédéric Bonnet
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : La Biennale de Venise à deux voix : Déconvenue