Guantánamo, Irak, Moyen-Orient…, les travaux picturaux récents de Jenny Holzer abordent certains conflits du monde impliquant les États-Unis, à la lumière de documents militaires déclassifiés par le ministère de la Défense américain (comptes-rendus d’interrogatoires, rapports, empreintes, courriers officiels…). Un autre éclairage sur les errements du monde d’aujourd’hui, à voir à la galerie Yvon Lambert.
Comment avez-vous décidé d’aller dans les archives pour consulter des documents gouvernementaux relatifs à certains conflits ?
Cela s’est fait d’une manière inhabituelle. Le magazine Wired m’a demandée d’imaginer ce que serait une bonne page d’accueil pour le site web Google, et j’ai pensé qu’il serait bien d’y montrer des secrets. J’ai donc commencé à regarder des documents déclassifiés, ce qui est maintenant devenu une habitude. Après cela j’ai pensé à en faire des peintures.
Pourquoi cette recherche a-t-elle pris cette forme picturale ?
J’ai initié ces recherches parce que, comme beaucoup de gens, j’étais déroutée par ce qui se passait au Moyen-Orient. Une fois que j’ai eu en main ces documents, j’ai voulu les montrer. Or, les tableaux sont toujours bien traités, ce qui permet de préserver l’information.
Parmi la masse consultée, comment avez-vous choisi ces documents ?
D’après leur contenu. J’ai voulu représenter ceux qui révélaient des informations particulièrement importantes et qui n’étaient pas largement connues, ou des renseignements qui résument la situation mieux que je ne pourrais la raconter. J’en ai aussi choisi certains pour leur aspect. Je voulais qu’ils soient assez intrigants pour que les gens y fassent attention.
Avez-vous fait des copies fidèles ?
Tout est exactement comme dans les originaux. La seule chose que j’ai changée est la couleur. Ces documents étaient en noir et blanc, et j’ai pensé que leur appliquer de la couleur les rendrait plus vivants. Parfois, ils ont aussi été agrandis ou rétrécis.
La relation au pouvoir est très présente et récurrente dans votre travail. Pourquoi ?
Je ne suis pas la meilleure personne pour m’analyser moi-même, mais j’ai tendance à ne pas écrire sur les jolies choses de la vie, car elles ne sont pas assez nourrissantes. J’ai tendance à porter mon attention sur les phénomènes qui peuvent nous parler de ce qui nous touche au plus profond, l’abus de pouvoir, par exemple.
Quelle est votre propre relation au politique ?
Simplement celle d’une citoyenne inquiète ! Une citoyenne qui de temps en temps tente d’écrire une lettre, d’envoyer de l’argent ou parfois de peindre sur les sujets dont il est ici question.
Diriez-vous que cette série est une œuvre politique ?
Je l’espère ! Mais je souhaite aussi qu’elle contienne des valeurs esthétiques.
Votre travail et votre usage du langage ont toujours adopté une structure ouverte où la contradiction est permise…
Je veux laisser les pièces ouvertes afin que chacun puisse y introduire ses propres pensées. Je crois qu’il est important d’avoir des gens engagés. Je veux également être précise et très peu de choses sont ou devraient être indiscutables.
Cette ouverture peut aussi introduire une ambiguïté de sentiments…
Je n’emploierais pas le terme d’ambiguïté, mais plutôt celui de complexité. J’aime montrer autant de points de vue que possible à la fois. Alors, vous pouvez avoir un sentiment précis.
Votre œuvre apparaît souvent comme une tentative d’équilibrer des contenus difficiles avec un beau cadre. Etes-vous d’accord ?
Je pense que vous avez besoin de choses agréables pour accrocher et remuer les gens, et je veux leur donner cela autant que de l’information. Il est important d’attacher la bonne émotion au fait que vous décrivez. Par exemple, quand je fais des projections de poésie sur des immeubles, le contenu est souvent tragique. Je veux donc une sorte de récompense pour ceux qui regardent. Ils peuvent ainsi tolérer la douleur.
Cela réfère également à la séduction. Ne pensez-vous pas que parfois la séduction est dangereuse ?
Bien sûr que oui, mais c’est une chose parmi d’autres. Plutôt que séduire je préférerais l’idée d’entrer quelque part, de donner quelque chose qui soit utile et agréable, d’une manière ou d’une autre.
La séduction est parfois liée à la peur, un sentiment très latent dans ces tableaux…
Je n’aime pas avoir peur, donc autant pour moi que pour les autres j’espère que je fournis quelque chose qui, en fin de compte, donne l’idée que l’on peut faire ou tenter de faire quelque chose.
Jusqu’au 14 avril, galerie Yvon Lambert, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 71 09 33, www.yvon-lambert.com, tlj sauf dimanche-lundi 10h-13h, 14h30-19h.
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Jenny Holzer : « L’idée que l’on peut faire quelque chose »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Jenny Holzer