Avec un accrochage complet, qui souligne la cohérence de l’œuvre, Richard Prince dresse au Guggenheim Museum de New York le portrait d’une Amérique schizophrène.
NEW YORK - « Je viens de résoudre le problème de parking. J’ai acheté une voiture déjà garée » (« I just solved the parking problem. I bought a parked car »). Malicieuse, cette simple phrase griffonnée au crayon sur une petite toile blanche (Untitled (Joke), 1986) résume à merveille l’esprit qui se dégage de la première rétrospective consacrée à Richard Prince, organisée par le Guggenheim Museum, à New York.
Pensé par séries, qui chacune à leur manière souligne avec justesse qualités et stéréotypes auxquels s’attaque l’artiste, l’accrochage déployé dans la spirale et quelques galeries annexes donne l’ampleur nécessaire à une œuvre qui apparaît, depuis trente ans, d’une rigoureuse cohérence. Ce, tant dans la constitution d’une immense banque d’images de la culture populaire américaine, rendue efficiente par le modus operandi que constitue l’appropriation, que par la manière dont sont pointées les contradictions inhérentes à cette culture même.
L’univers de Prince apparaît, en effet, telle une immense boîte à fantasmes, où une iconographie très marquée par la route, la sexualité et la publicité portraiture une Amérique oscillant entre finesse et grossièreté de traits. Une Amérique tout en proie à la question du désir, lancée dans une quête ininterrompue en vue de son accomplissement.
Romans de gare
Les Nurses – peintures initiées en 2002 reprenant des couvertures de romans de gare où des images d’infirmières se voient affublées de masques chirurgicaux ou maculées de traînées de peintures qui les rendent floues – sont à cet égard remarquables. Plus inquiétantes que rassurantes, elles incarnent au même titre que les Girlfriends (1993) – des « bikeuses » souvent photographiées poitrine au vent dans des concentrations de motards – de parfaits archétypes sociaux et sexuels. Tout comme les Cowboys initiés en 1980. Des images évoquant les racines de la nation à travers l’idée de liberté individuelle, tout à fait reconnaissables comme provenant de publicités pour les cigarettes Marlboro vantant le grand air et la liberté, ce qui ne manque pas de sel.
À la base de la pratique de Prince, l’appropriation d’images publicitaires sorties de leur cadre et transformées par leur nouveau contexte de présentation fournit une entrée en matière efficace à l’exposition. Avec ses travaux anciens traités en séries, telles des photos d’intérieurs bourgeois (Untitled (living-rooms), 1977), de briquets ou stylos de luxe (Untitled (pen), 1977), ou des portraits de personnages très sûrs d’eux (Three women looking in the same direction, 1980), l’artiste use efficacement du mode répétitif pour imposer une corrélation entre fabrication de l’image et stéréotypes. Ce faisant, dès la fin des années 1970, il se posait en pointe des questionnements post-modernistes relatifs à la signature et à la légitimité auctoriale.
Irrévérence
La disparition de la main de l’artiste est également patente dans les Monochrome Jokes et les Hoods (blagues populaires inscrites sur des tableaux monochromes et capots de voitures moulés) produits à partir du milieu des années 1980, nombreux dans le parcours. Outre qu’ils témoignent d’une irrévérence avérée à l’endroit du minimalisme et de l’art conceptuel, ces travaux le font en distillant dysfonctionnements et peurs sociales (anxiété sexuelle, questions de genre, ratés de l’éducation, problèmes familiaux...) avec une cruauté jouissive et d’autant plus succulente qu’elle n’est jamais gratuite, mais qui toujours s’infiltre dans la faille avec une précision chirurgicale...Quand une Amérique conquérante rencontre une Amérique craintive.
Capable de s’attaquer à un maître comme De Kooning, dont il mêle dans des tableaux l’imagerie des Women à de vulgaires photos pornos (De Kooning Paintings, 2005-07), Prince fait également montre d’une profonde empathie pour les paysages et le mode de vie qu’il trouve dans son environnement immédiat (cabanes, paniers de baskets, capots ouverts de voitures...), dans le nord populaire de l’État de New York où il a élu domicile en 1995 (Untitled (Upstate), 1995-99). Empreints d’une certaine mélancolie, détachés de toute gouaille acerbe, ces clichés désignent un artiste fasciné par la culture... avec un grand et un petit « c ». Cela rend son regard juste, et son art pertinent.
Jusqu’au 9 janvier, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 423 3500, www.guggen heim.org, tlj sauf mardi 10h-17h45, vendredi 10h-19h45. Cat. éd. Guggenheim, 372 p., 45 dollars, ISBN 978-0-89207-364-1. L’exposition sera présentée au Walker Art Center de Minneapolis du 22 mars au 15 juin.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Je t’aime, moi non plus
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Nancy Spector, conservateur en chef du Guggenheim Museum - Nombre d’œuvres : environ 150
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Je t’aime, moi non plus