MONACO - Au Nouveau Musée national de Monaco se raconte l’histoire bavarde d’un autre monde étrangement familier.PAR BÉNÉDICTE RAMADE
Il existe des expositions qui transportent, des ambiguïtés qui nourrissent l’imagination, des œuvres qu’on croyait connaître et qui se transforment sous l’effet d’un récit. « Le silence. Une fiction », au Nouveau Musée national de Monaco (NMNM) est de celles-là, de ces parenthèses au monde qui ouvrent sur univers profond, dense et déstabilisant. Il faut rentrer dans son jeu bien sûr, s’adonner à l’histoire, sinon l’accrochage chic et raisonné apparaîtra un peu trop cosmétique. Il fait partie de l’arsenal très juste déployé pour prendre au piège le visiteur dans sa toile narrative, un récit de science-fiction tricoté conjointement par un commissaire italien, Simone Menegoi (découvert en 2008 à la Galerie de Noisy-le-Sec), Cristiano Raimondi (NMNM) et le critique d’art américain Chris Sharp. Ce dernier a même rédigé une nouvelle, À quelques brasses sous la terre. Faut-il la lire pour comprendre les ressorts de l’exposition ? Non, au risque que cette production littéraire apparaisse comme une coquetterie. Sa lecture est un épilogue qui transportera notre visiteur dans une histoire dans la lignée de Londres engloutie, délire naturaliste que Richard Jefferies publia en 1885. Il y décrivait une ville en proie à la nature, débarrassée de ses habitants, sans que jamais le lecteur ne sache de quel côté se situait la morale de l’affaire. Et c’est bien là la principale qualité de l’exposition que de ne pas prendre parti, de laisser le regard attentif et en alerte.
Un monde paradoxal
« Le Silence. Une fiction » documente une civilisation oubliée, perdue, mais l’on ignore si le moment présent est post-traumatique ou prophétique. Histoire d’une résilience ou bien d’une chute, c’est à celui qui regarde de continuer la construction par déduction et intuition, nourrie de ses fantasmes et de ses peurs. L’exposition a opportunément su éviter les formes rétro-futuristes. Les territoires probables du « Silence. Une fiction » sont ici définis par des cartes de l’Île-de-France (photogrammes de 1994 de Pierre Savatier donnant l’impression d’une irradiation nucléaire), des collections d’objets vernaculaires (Vladimir Arkhipov), une flore fantomatique (le grand herbier d’ombres de Lourdes Castro). Une pierre d’évier en granit simplement posée à la verticale par Maurice Blaussyld (artiste lillois confidentiel) se pare ainsi d’étrangeté ; une belle réflexion sur les musées ethnographiques et la décontextualisation qu’ils font parfois subir aux objets.
Les œuvres se mélangent, se frottent, composent des chapitres. En fil rouge, les étranges lanternes magiques de l’Italienne Linda Fregni Nagler, petits temples de bois dont une fente permet de regarder des photographies sur plaques de verre : météorite de la constellation d’Orion, radiographies d’oiseaux, flamants roses, nids. Ces images anciennes s’offrent comme des trésors, ponctuent les salles comme des oracles mystérieux. On croisera aussi bien deux magnifiques toiles peintes en 1710 par le spécialiste de l’étrange nature, Bartolomeo Bimbi, que le film fascinant d’Adrien Missika (prix Fondation d’entreprise Ricard 2011). Dans Darvaza (2011), œuvre séminale de l’exposition, ce dernier montre un cratère en combustion dans un paysage désertique. Ce que l’on prend pour un phénomène naturel est en réalité dû à l’erreur de géologues russes en 1971, lors d’une campagne de prospection gazière. Ils pensaient incendier la fuite massive de méthane pour la juguler en quelques jours, elle brûle depuis sans discontinuer dans le désert du Karakoum au Turkménistan. Un enfer incandescent livré sans commentaires et qui hameçonne avec cette séduction du diable qu’exerce le sublime technologique. Crédulité et croyance ne cessent d’ailleurs de s’entremêler au fil de ce parcours glacé et chapitré. S’y dévoilent des architectures et des territoires, une faune, une flore, un climat ; la menace écologique du dehors s’impose peu à peu en facteur décisif sans jamais devenir docte.
Simone Menegoi et Cristiano Raimondi revendiquent la dimension lacunaire de ce jeu de piste d’anticipation, c’est dans ces manques que le spectateur trouve sa place, comme une voix off. Seul le titre proposé à cette aventure viendrait presque en appauvrir la richesse. Si l’écrivain Jonathan Safran Froer n’en avait pas fait un succès, Extrêmement fort et incroyablement près aurait constitué une belle invite à ce récit où l’apocalypse n’a pas le goût de Wagner. Elle est plus insidieuse, invasive, se fixe à l’esprit comme un virus où les œuvres ont la liberté d’exprimer tous leurs possibles. Le silence est finalement prolixe.
Commissaire : Simone Menegoi
Nombre d’artistes : 26
Jusqu’au 3 avril, Nouveau Musée national de Monaco, Villa Paloma, 56, bd du Jardin exotique, Monaco, tél. 377 98 98 48 60, tlj 10h-18h, www.nmnm.mc
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Je rêvais d’un autre monde
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Abonnez-vous dès 1 €Adrien Missika, Darvaza, 2011, vidéo (image extraite). Coll. MNMN, Monaco.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Je rêvais d’un autre monde