Avec une sélection précise et un accrochage limpide, comprenant notamment son diaporama Whiteout (2009) récompensé par le Baloise Art Prize, Geert Goiris s’installe au Crédac, à Ivry-sur-Seine. Il y déploie sa conception particulière du temps de l’image photographique.
La question temporelle semble être centrale dans vos images qui ne développent jamais de narration même lorsque, comme dans Whiteout, elles sont montées en diaporama. Il n’y a pas de linéarité et chacune paraît être autonome…
Je crois qu’il est exact de dire que je cherche quelque chose d’extérieur à la linéarité, car j’aime me situer beaucoup plus en terme de synchronisme. Par exemple, cette image de cactus en noir et blanc (Cactus, 2009) aurait pu être prise dans les années 1950 ou hier ; le noir et blanc ne donne aucune indication temporelle et la structure ne permet pas non plus d’en juger. J’entends par synchronisme le fait que je prends une photo, mais que l’objet est toujours là. Je montre l’image ici ou là, mais ils ne s’appartiennent plus l’un à l’autre. Il se produit la même chose avec le diaporama. Je voulais aller photographier un « whiteout », qui est une sorte de phénomène optique naturel. Lorsqu’il y a une grande concentration de cristaux de glace dans le ciel, une lumière très douce et diffuse passe à travers et se reflète sur la neige au sol. Cela produit comme une chambre d’écho ; la lumière se reflète de l’extérieur. Vous entrez dans un espace totalement blanc, sans horizon ni indication d’aucune sorte. Il semble que l’on soit hors du temps, hors du lieu. Au début, l’idée était ici de bâtir une narration, mais j’ai finalement pensé que ce n’était pas la réponse correcte, car je voulais plus aller vers une atmosphère. Pour montrer que, où que vous regardiez, c’est comme si tout disparaissait, j’avais besoin de plus d’une image. J’ai aussi inclus des intérieurs et deux portraits car, c’est en ayant eu vent d’une expédition de deux hommes au Groënland, que je me suis intéressé à ce phénomène. Ils ont été coincés dans un « whiteout ». Vous perdez alors l’esprit et la seule façon de garder une forme de conscience est de se « raccrocher » aux couleurs et aux formes des choses que vous pouvez voir dans un intérieur. C’est pourquoi, même si la projection n’est pas une narration, j’ai voulu marquer cette opposition intérieur/extérieur.
Quand vous regardez des objets comme ce cactus, hors de toute configuration temporelle, est-ce une façon de rejeter toute forme d’anecdote ?
D’une certaine manière, oui. Ce n’est pas quelque chose qui me préoccupe consciemment, mais au final… Dans la conception d’une image, je cherche toujours la clarté, quelque chose de très simple : l’objet au milieu, peu de choses autour. Si je passais dans le même endroit avec beaucoup de nuages et une lumière très spécifique, je ne réagirais probablement pas ; vous êtes trop distrait par tout ce qu’il y a autour. Par exemple, pour cette photo avec des piscines (Pools at Dawn, 1999), j’ai installé la chambre juste avant le coucher du soleil et l’ai laissée jusqu’à ce qu’il fasse complètement noir. Au cours d’environ une heure d’exposition, l’image devient de plus en plus visible, et j’aime le fait que l’appareil a eu énormément de choses à voir. C’est complètement « non humain », car le temps de pose enregistre énormément de choses. D’abord une lumière très jaune, puis orange, et enfin bleue. Et chacune de ces couleurs se superpose aux autres et produit cet étrange bleuté. L’appareil me permet de voir différemment de ce que je regarde quand je suis là !
Ces longues expositions sont-elles une façon de tenter de capturer des atmosphères qui deviennent finalement atemporelles ?
Exactement ! La temporalité du calendrier ordinaire ne me préoccupe pas. En revanche, je m’intéresse beaucoup au fait de découvrir comment un lieu donne une image de lui-même. Le terme « atmosphères » que vous employez est un peu délicat en art, car il a une connotation un peu kitsch, mais je pense que c’est le mot exact.
Comment décidez-vous vos sujets ?
Le cliché lui-même est basé sur l’intuition. La plupart du temps, je voyage dans des lieux à propos desquels je n’ai pas d’idée précise. Je suis juste curieux d’y aller et de voir. C’est comme un angle mort dans l’imagination. Souvent, je passe beaucoup de temps à conduire et à regarder. En même temps, je ne suis pas un documentariste qui vous dit « ça c’est la Chine ou la Namibie ». Il est beaucoup plus intéressant pour moi d’assembler des images mentales.
GEERT GOIRIS. IMAGINE THERE’S NO COUNTRY, jusqu’au 8 novembre, Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, 93, avenue Georges- Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr , tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h.
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Geert Goiris, « Un lieu donne une image de lui-même »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Geert Goiris, « Un lieu donne une image de lui-même »