Les Abattoirs, à Toulouse, exposent une réflexion sur la nécessaire redéfinition de notre futur. Entre imaginaire prospectif et visions teintées d’une réalité inquiète.
TOULOUSE - Passage obligé lorsqu’on pénètre dans le musée, l’atmosphère de la halle des Abattoirs, à Toulouse, impose au visiteur de « NéoFutur » une double sensation dès le premier coup d’œil. Confronté à un vaste jardin verdoyant, à la fraîcheur enchanteresse renforcée par des fontaines, le regard baisse un instant la garde avant de prendre conscience qu’au sein de cette installation du groupe américain Todt se meut une vie étrange, peuplée d’animaux à la race indéfinissable et profondément répulsifs. Avec Exurbia (2007), les artistes interrogent et anticipent, à travers l’hybridation et le paysage factice, le développement possible de zones situées au-delà du contexte urbain, et mettent le doigt sur le conflit latent entre naturel et artificiel.
Dans cette redéfinition du futur, l’artifice et l’hybride apparaissent comme les préoccupations de plusieurs artistes, parmi lesquels le duo Art Orienté objet, qui depuis une salle adjacente fait s’élever un long tube transparent traversant la halle. À l’intérieur, comme en une interminable procession, se succèdent des animaux transformés par la recherche et la technologie, mal formés ou ayant subi des mutations génétiques (Pioneer Ark, 2008). On retrouve ces artistes dans des photographies où ils se prêtent à une initiation rituelle africaine, ouverture vers une migration intérieure (Bwiti Turning, 2003). Car, parmi les explorations de notre relation à l’univers, nombre d’entre elles touchent à l’imaginaire, et donc au cheminement mental. Ainsi du jeune artiste turc Emre Hüner, dont le film d’animation qui marque le début de l’exposition plonge le regardeur dans un monde singulier et fascinant. Ici nul enchaînement logique ne semble présider à un déroulé où d’étranges figures évoluent dans des espaces qui ne le sont pas moins (Panoptikon, 2005). Le tout accompagné d’une temporalité paradoxale, car totalement non identifiable. C’est le cerveau également qui occupe Jan Fabre, dans une sculpture traduisant bien les états de recherche et d’interrogation quant au développement : un personnage doré armé d’une pelle s’affaire à creuser dans un cerveau géant, siège de l’imagination, assimilable à une planète (Anthropologie d’une planète (Étude I), 2007). La démonstration est limpide, peut-être un peu trop !
Porte factice
À considérer la dimension mentale requise pour la mise en œuvre de nouveaux imaginaires, les fortunes sont diverses. L’une des propositions les plus percutantes est le fait de la Britannique Siobhàn Hapaska. Son installation La Plage des Intranquilles (2008), entre palmiers protégés par des coussins et créature anthropomorphe qui engendre des noix de coco, réexamine brillamment notre rapport à l’univers, à l’Histoire, à la colonisation, à l’acculturation.
Christophe Berdaguer et Marie Péjus interpellent également, avec une architecture faite de chaînes suspendues au plafond, qui figure à l’envers le paysage de l’île de Kilda, à l’ouest de la Grande-Bretagne, où une communauté vécut totalement isolée du monde jusqu’en 1930 (Lat. 57°/Long. 8°, 2008).
A contrario apparaît pour le moins tragique l’intervention de l’Espagnol EVRU, dont le Bureau de flux (2008) propose de se débarrasser de l’identité en ôtant ses vêtements afin de devenir « citoyen Evrugi ».
Au-delà de la dynamique de l’imaginaire, l’exposition touche au degré de remise en question que nous sommes prêts à accepter. La réponse de Mark Dion est à cet égard remarquable. Dans la salle qui lui est consacrée, à côté d’un arbre d’où pendent des oiseaux goudronnés (Game Bird Group (Tar and Feathers), 2006) et d’une vitrine de musée dont la « ruine » pointe la nécessité de repenser les modes de classement (The Museum in Ruins, 2006), se trouve la porte factice et fermée d’un « Département de cryptozoologie » (2001). Parvenir à l’ouvrir relève pour l’artiste de la nécessité afin de dépasser nos formes de pensée autoritaires. Quant à la question de savoir où, finalement, se projeter en tant qu’être humain contemporain, elle demeure sans réponse, tant l’inquiétude qui sourd de beaucoup de propositions n’incite guère à vouloir connaître ces futurs.
Jusqu’au 31 août, Les Abattoirs, 76, allée Charles-de-Fitte, 31000 Toulouse, tél. 05 62 48 58 00, www.lesabattoirs.org, tlj sauf lundi 11h-19h. Catalogue à paraître.
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Futur composé
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat : Pascal Pique, directeur pour l’art contemporain aux Abattoirs - Nombre d’artistes : 13 - Nombre d‘œuvres : 43
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Futur composé