Après avoir longuement tourné autour des objets pour en tirer jeux de mots visuels et chromatiques, Franck David élargit sa pratique. Résultat : des installations et des scénarios quasi cinématographiques dans lesquels les objets sont devenus les mots d’un vocabulaire de plus en plus élaboré. Bénéficiant d’une double exposition à Strasbourg, au Musée d’art moderne et contemporain et à la Chaufferie, l’artiste répond à nos questions.
Que présentez-vous dans vos deux expositions à Strasbourg ?
C’est une seule exposition en deux lieux. Les deux morceaux d’un projet de film dont le titre a été repris pour l’exposition : « En raison d’un manque total d’intérêt demain est annulé pendant la durée du générique ».
J’ai dissocié le principe du tournage en deux éléments : ce qui est devant la caméra et ce qui est hors champ (la loge). Chacun de ces aspects se trouve naturellement « autonomisé » dans deux lieux d’exposition différents l’un de l’autre.
Le point de départ du film est simple : c’est le fait d’être moi, « franckDavid », invité à exposer. Évidemment, inviter franckDavid cela veut dire inviter son travail, mais, pour beaucoup de gens, le travail ne produit pas encore une image et c’est d’abord le nom qui en évoque une. Je suis parti de ce constat très simple autour de mon nom. Devenant l’aspect central du projet, le film, ce nom en devient l’acteur, et comme je ne pouvais rester trois mois, le temps de l’exposition, pas plus que je n’avais envie d’être physiquement le cœur du film, deux choses se sont développées : les homonymes, façon de se démultiplier tout en étant différent, et le principe des doublures. Ceci consiste en l’utilisation de franckDavid, c’est-à-dire, puisque ce n’est pas possible en vrai, à celle de masques en latex.
Quel rôle jouent les « franckDavid » d’un espace à l’autre ?
Le besoin pour le film d’avoir des acteurs qui portent les masques et incarnent ainsi les « franckDavid » m’a naturellement conduit à proposer aux gardiens les rôles d’acteurs. Comme le film est dissocié structurellement en deux, les gardiens vont d’abord dans la loge, c’est-à-dire au musée où sont stockés les masques de franckDavid. Une fois là, ils choisissent un franckDavid et prennent son masque en double exemplaire, ainsi qu’un T-shirt parmi ceux exposés. Ils repartent ainsi rigoureusement identiques vers la Chaufferie chaque jour. Ils changent tous les jours de franckDavid. Il y a onze modèles au total.
Ils sont là pour incarner ce jeu d’enfants devenu pour l’occasion le scénario, qui est de « jouer à madame la marchande ». Les gardiens-acteurs mettent en avant une situation qui trouve un écho dans toutes les mémoires, celle de l’échange de valeurs symboliques. Sauf que là, ils offrent de vraies fleurs et fruits aux gens qui le souhaitent, le tout emballé dans de la Cellophane imprimée d’un motif de puzzle.
À l’entrée de votre exposition au musée, un panneau nous indique que nous entrons sur les terres d’« Ici-même ». De quoi s’agit-il ?
C’est un signe qui renvoie à un autre projet mais dont l’avancement a beaucoup conditionné le projet de Strasbourg. Ce projet consiste à montrer puis nommer des interstices, de quelque nature qu’ils soient, dans l’espace public, en leur attribuant le nom générique d’« ici-même », puis une couleur : le rose. Le premier « ici-même » devrait être inauguré à Val de Reuil en Normandie à la fin du printemps. Dans ce cas, les interstices choisis sont les écarts qui existent entre les panneaux d’entrée et de sortie de Val de Reuil. Lorsque l’on sortira de Val de Reuil, on entrera dans « ici-même », puis on en sortira dès que le panneau d’entrée de la ville voisine arrivera. L’écart peut être de 25 centimètres comme de 300 mètres. La route sera peinte entièrement en rose sur toute la longueur de l’écart entre ces panneaux, signalant ainsi la surface du territoire d’« ici-même ».
La couleur rose apparaît comme un signal dans certaines de vos pièces. Que signifie-t-elle ici ?
Elle est là pour parler d’« ici-même », pour dire que toute cette exposition est traversée par ce projet, mais aussi pour signifier des sortes de mouvements de caméra ; il y a des zones roses de différentes surfaces, parfois juste un trait au sol, d’autres fois c’est une pièce qui est totalement rose… De plus, elle offre les qualités de confort optique et d’absorption des volumes que je souhaitais, notamment pour les loges au musée.
Jusqu’au 20 juin, Musée d’art moderne et contemporain, Project Room, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, mardi, mercredi, vendredi, samedi 11h-19h, jeudi 12h-22h, dimanche 10h-18h. L’exposition à la Chaufferie s’est achevée le 25 avril. Franck David est représenté par la galerie Chez Valentin, à Paris.
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Franck David
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Franck David