PARIS
L’artiste, déjà animé par des questions de « mutation » et d’écologie à l’époque où il concevait son premier « homme-fontaine », en 1989, cultive son jardin et sa forêt parallèlement à un projet de restaurant et un autre mené avec l’Institut Pasteur. Des initiatives mêlant art, agriculture, recherche et pédagogie.
Paris. Fabrice Hyber a un anniversaire à fêter : celui de l’« Homme de Bessines ». Voilà trente ans en effet qu’il a inventé ce petit bonhomme de 86 centimètres de haut, couleur « première pousse de printemps », en réponse à un appel d’offres de la commune des Deux-Sèvres qui en 1989 voulait une fontaine. Hyber avait 28 ans, mais déjà beaucoup d’ambition pour ce personnage qu’il imaginait, dès le départ, « viral ». Aujourd’hui, il en existe un peu partout dans le monde : « 69 au Portugal, 3 à Tokyo, 49 en Chine »,énumère-t-il de tête. « L’idée c’est qu’il se multiplie ; il peut être fait dans toutes les matières, en résine, en compost, en bronze, en porcelaine. J’en ai même fait en chocolat vert et quand on croquait dedans il y avait de la crème anglaise qui coulait. » L’artiste se fend d’un sourire ravi. « Mais l’“Homme de Bessines” est aussi chargé politiquement. Pour moi c’est l’homme du futur, dans l’information, les flux en permanence, et qui parle de notre responsabilité, de notre place dans l’espace public. » Et ce vert, alors, était-il extraterrestre ou… ? « Écologique, tranche-t-il. Ma première exposition, en 1986, s’intitulait “Mutation”, la deuxième, l’année suivante, “Pollution”. » Début avril, la fontaine des jardins du Palais-Royal à Paris accueillera pour deux mois, avec l’aval du Centre des monuments nationaux, trente de ces petits bonhommes, « plus une “Femme de Bessines ”». Cette sculpture-fontaine aurait dû être installée devant le Palais de Tokyo en décembre, mais cela n’a pas pu se faire. « Pour des raisons techniques,élude-t-il. Finalement, c’est aussi bien. »
Fabrice Hyber est tourné vers l’avenir. Le Lion d’or de la Biennale de Venise en 1997 (il en fut l’un des plus jeunes lauréats), créateur du plus gros savon du monde (1991) et de toutes sortes de « POF » (Prototypes d’objets en fonctionnement), a de nombreux projets et plusieurs actualités. Un lieu mêlant art et agriculture en Vendée, un chantier de restaurant écoresponsable à Montrouge (Hauts-de-Seine), une exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain en novembre… Lui qui s’était fait discret, victime, peut-être, de son succès, mais aussi parce qu’il a traversé le deuil et la maladie, revient sur le devant de la scène. Déjà représenté par la Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles), il a récemment intégré la Galerie RX, qui le promeut à New York où elle partage un espace. Hyber actif ? Cette période d’immobilisme forcé liée à la pandémie l’a obligé, dit-il, à se « reconcentrer ».
La Vendée, donc. Avec ses premiers émoluments, il s’était porté acquéreur du terrain exploité par son père, éleveur de moutons, qui n’en était pas propriétaire. « J’ai voulu racheter ce paysage qui m’inspirait », explique-t-il. Il a alors pour projet d’y planter une forêt. En 2005, son exposition « Nord-Sud » au Frac [Fonds régional d’art contemporain] des Pays de la Loire en constitue la première présentation officielle, sous la forme d’une maquette témoignant de l’avancée de sa réflexion autour de l’aménagement de la vallée de son enfance. Depuis, que s’est-il passé ? « Les arbres ont poussé », résume-t-il. Ce qui suppose de gérer la forêt, laquelle génère chaque année quelques mètres cubes de bois. Pour l’heure, le lieu emploie trois personnes. Fabrice Hyber a commencé à restaurer des bâtiments, envisage de montrer dans l’un d’eux les maisons d’artiste réalisées au cours de sa carrière. Il veut mélanger l’art et l’agriculture, la peinture et les moutons (plus de 200 brebis gambadent au milieu des prés). Bâtir, d’ici dix ans, « un prototype du paradis », dont, promet-il, la vocation ultime, outre l’hébergement de ses œuvres, sera « l’éducation ».
C’est cette forêt également qu’il entend placer au cœur de son exposition à la Fondation Cartier, qu’il va transformer le temps de quelques semaines en école. « Me contenter d’exposer des tableaux, ça m’ennuie. J’ai toujours métamorphosé les lieux où j’intervenais. Le Musée d’art moderne en “Hybermarché”, le Centre Pompidou en salon de coiffure, le pavillon français de la Biennale de Venise en studio d’enregistrement et de diffusion d’émissions télévisées (Eau d’or, eau dort, odor)… Un lieu, il faut le tordre pour qu’il s’y passe quelque chose d’important. » Alain-Dominique Perrin, le fondateur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, est venu lui rendre visite dans sa ferme l’été dernier ; il s’est montré enthousiaste.
Et puis il y a l’« Atelier des Jardiniers », un local municipal désaffecté, à Montrouge, qu’il entend transformer en brasserie pédagogique où l’on viendra « manger le paysage » et suivre des cours sur des thèmes environnementaux. Il l’a cofondé avec Henri van Melle, ancien directeur international des événements et des expositions chez Hermès, qui depuis l’été 2020 est chargé du fonds de dotation préfigurant la future fondation de l’artiste. Les deux hommes se connaissent depuis près de trente ans. La pandémie les a rapprochés. « Pendant le premier confinement, je me réveillais vers 4 ou 5 heures du matin, et lui aussi. On s’appelait », raconte Fabrice Hyber. Si tout va bien, leur restaurant Les Jardiniers ouvrira d’ici à la fin 2022.
La science, et en particulier les mathématiques, qu’il a étudiées, continuent par ailleurs à l’intéresser. Il a initié, au sein de l’Institut Pasteur, le projet « Organoïde » (avec le soutien de la Fondation Daniel et Nina Carasso), qui met en relation artistes et chercheurs avec pour objectif de proposer « de nouvelles représentations de découvertes, inventions, concepts scientifiques pasteuriens […] à des fins de communication et d’illustration », lit-on sur le site de l’Institut. Le duo Mrzyk & Moriceau a par exemple travaillé sur le système nerveux ; le plasticien Michel Blazy a agrandi des vues de champignons…
Fabrice Hyber est plongé pour sa part dans la lecture du tome II de Récoltes et semailles, un ouvrage ardu d’Alexandre Grothendieck, qu’il lit, en s’accrochant, fasciné par la notion d’« indéfinition » développée par ce génie des mathématiques. « J’essaie de comprendre, de trouver des formes, des images. » Enfin, depuis juillet 2018, son fauteuil d’académicien l’occupe une demi-journée par semaine, le mercredi. Ce rendez-vous hebdomadaire le passionne. « Nous travaillons sur des sujets très variés, et nous produisons des rapports. Sur les réseaux sociaux, les droits d’auteur, les éoliennes dans le paysage… Nous distribuons également beaucoup d’argent aux artistes, en toute discrétion, à travers des bourses. Pendant la pandémie, grâce à un système de commissions spéciales très réactives, nous avons été capables d’indemniser instantanément des artistes en difficulté. » Ainsi, avec le temps, étrangement, Fabrice Hyber s’est-il lui aussi transformé en petit homme vert. Parmi les mille et une choses qui l’occupent, il termine une commande que lui a passée avant sa mort une collectionneuse appartenant à une grande famille japonaise. Il a dessiné pour sa stèle funéraire un totem de teddy-bear en obsidienne et pierre de lave…
Juillet 1961
Naissance à Luçon (Vendée).
1995
« L’Hybertmarché (1-1 = 2) », ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
1997
Lion d’or à la 47e Biennale de Venise où il représente la France.
Avril 2018
Élu membre de l’Académie des beaux-arts dans la section de peinture.
Avril 2022
Installation de la sculpture-fontaine L’Homme de Bessines dans les jardins du Palais-Royal, à Paris.
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Fabrice Hyber toujours hyber actif
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Fabrice Hyber toujours hyber actif