Art contemporain

Fabrice Hyber - L’atelier des possibles

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 12 septembre 2012 - 1458 mots

Cet automne, l’artiste est omniprésent : au Mac/Val, à la Fondation Maeght, au Palais de Tokyo… Visite des préparatifs.

Ce n’est pas d’un atelier mais de trois dont il dispose : le premier à Paris, le deuxième à La Plaine-Saint-Denis et le troisième à Château-Guibert, en Vendée, fief familial de ses parents dont il a racheté la maison et tout le paysage à  360° qu’il voyait, enfant, depuis sa fenêtre. Une centaine d’hectares qu’il a semés de quelque cent mille arbres pour y recréer une forêt. Fabrice Hyber est comme ça : il a besoin d’espace. « Je suis un mec de la campagne, j’aime ce qui est ouvert », dit-il, avec cette simplicité bonhomme qui le caractérise et ce côté émerveillé de l’enfance qu’il a soin de garder. Vendéen d’origine, né à Luçon, au carrefour de la plaine, du bocage, du marais et non loin du littoral, Hyber (en 2005, l’artiste a décidé d’écrire son nom sans « t »), qui a franchi le cap de la cinquantaine l’an passé, est un boulimique qui ne tient pas en place.

Lieu de travail et de vie à la fois
Ce matin de juillet, il est pourtant là, tranquillement assis, téléphone portable en main, sur l’un des fauteuils en bois du petit coin qu’il a investi dans la cour pavée de cet immeuble parisien du 10e arrondissement où il occupe les locaux de l’ancien entrepôt des aiguilles Bohin. Pas moins de quatre cents mètres carrés, répartis sur deux niveaux, qui se développent sur une bonne vingtaine de mètres en une multitude de pièces aux fonctions diverses qui lui servent de lieu de vie comme de travail. « Je n’arrive pas à séparer, explique-t-il comme pour se justifier ; il me faut toujours avoir du papier sous la main, j’ai plein d’idées qui fusent dans ma tête et j’ai besoin de les fixer très vite en prenant des notes à la volée. » Et, de fait, les murs sont recouverts de grands dessins qui portent toutes sortes de mots, d’esquisses, de croquis plus ou moins sibyllins. Normal, ce ne sont encore que des idées d’idées, jetées au passage, en circulant d’une pièce à l’autre et en réglant tel ou tel problème.

Depuis quinze ans qu’il s’est installé là, si Fabrice Hyber n’a eu de cesse de parcourir le monde, de faire de longs séjours pour le travail à Tokyo, à Hambourg, au Mexique ou ailleurs, il ne cache pas son plaisir de s’y trouver. Il en aime le côté artisanal, voire rustique, lui dont la démarche relève d’une attitude entrepreneuriale, versant création de concepts. Une petite entreprise, en quelque sorte. D’ailleurs, c’est une véritable ruche qui compte quatre à cinq personnes à plein temps et, au moment des coups de feu, une bonne huitaine.

Voilà justement Réjean qui revient de chez le photographe avec des tirages
de L’Homme de Bessines destinés à la prochaine publication de tout l’œuvre de l’artiste. Chargé de la coordination des projets, il fait partie de l’équipe permanente qui entoure Fabrice, avec Simo, qui s’occupe de la gestion administrative de la maison et de l’atelier, Flora, qui gouverne la documentation et la mise en ligne des archives, Benjamin, qui s’occupe des POF et de toutes les œuvres avec du vivant, enfin Matthieu, compagnon charpentier, qui possède un atelier à Verrières-le-Buisson et avec lequel Hyber travaille à la réalisation matérielle des pièces. Sans compter l’aide de Gabriel, de Lorraine et d’autres jeunes artistes qu’il embauche ponctuellement comme assistants.

Partout, des projets voient le jour
Fabrice Hyber s’est toujours senti dans la peau d’un chef d’entreprise. Très tôt, il s’est intéressé à la question de la production et il s’est appliqué à travailler en collaboration avec nombre de chercheurs. C’est qu’avant de faire de l’art, il s’était engagé dans les sciences, aussi il ne peut s’empêcher d’intégrer cela dans son travail. On comprend mieux alors comment la dimension expérimentale y occupe une telle place et le rôle déterminant que joue dans son œuvre tant les peintures homéopathiques que les POF, ses fameux « prototypes d’objets en fonctionnement ». Ce sont là en effet deux des concepts majeurs que Fabrice Hyber a élaborés relativement tôt et qui connaissent au fil du temps tout un monde de formulations.

Il suffit de se promener avec l’artiste dans le dédale des pièces de l’atelier pour en prendre aussitôt la mesure. Il y en a partout : ici, des projets en attente, d’autres en cours de réalisation ; là, de superbes caisses en bois prêtes à partir, des photomontages de sa maison et de son atelier vendéens ; plus loin encore toutes sortes d’objets inattendus rapportés de voyage : une petite sculpture d’art populaire au sujet d’Adam
et Ève ; un énorme beaucarnéa, une succulente communément appelée « pied d’éléphant » ; un ballon de foot carré, POF n° 65, à rendre fou le roi Pelé, etc., etc.

Le tout est mêlé aux livres et aux dossiers qui s’entassent d’une table à l’autre, voire à certaines œuvres que Fabrice Hyber dégote dans des ventes aux enchères. Ainsi ce dessin de 1911 de Fernand Léger ou cet autre, érotique, de Cocteau, ou bien encore ceux dont il passe commande à certains artistes sur le thème de la maison. Outre ses dessins accrochés aux murs dont il dévoile volontiers le mystérieux contenu et qui sont souvent inclus ensuite dans ses grandes peintures, le regard bute encore sur un empilement de boîtes en plastique blanches qu’on ne soupçonne pas contenir des pains de vernis à lèvres. Ceux-ci sont destinés à la présentation au Palais de Tokyo d’un mètre cube de cette matière première – « Pure Couture », généreusement donnée par Yves Saint Laurent –, un projet de très longue date qu’il va enfin réaliser et qui s’inscrit dans la suite logique d’un tableau fait en 1981, alors qu’il était étudiant, Le Mètre carré de rouge à lèvres (Coll. Frac Pays de la Loire). Première peinture, mais aussi première tentative d’élaboration d’une œuvre en collaboration avec le monde de l’entreprise.

Fabrice Hyber est ainsi : il bouillonne d’inventions, il aime à les faire rebondir dans le temps et rien ne l’excite plus que d’envisager l’invraisemblable. « L’ensemble de [son] œuvre se construit sur un principe d’échos, de dérives, d’échafaudages, note à juste titre le critique d’art Pascal Rousseau. Chaque œuvre refuse d’être autonome, elle n’est qu’une étape intermédiaire et évolutive d’un work in progress conçu sous la forme d’un gigantesque rhizome… » La vie comme l’œuvre ne sont que métamorphoses puisque « l’art, c’est toutes les possibilités du monde », comme le dit Hyber.

Un autre atelier où se « lâcher »
À dix minutes en voiture, à la lisière du périphérique et de la Plaine-Saint-Denis, en une sorte de non-lieu industriel anciennement occupé par Puiforcat, l’artiste dispose depuis deux ans d’un atelier encore plus grand. Deux étages d’un bâtiment des années 1950 en béton brut avec des espaces suffisamment vastes pour que Hyber puisse se lâcher. Et l’artiste ne s’en prive pas. Il y a notamment préparé les trois expositions de cet automne : Palais de Tokyo, Mac/Val et Fondation Maeght, rien de moins !
L’endroit est envahi par des pièces souvent monumentales : un étrange escalier culbuto, une série de draps tendus sur des fils que le visiteur sera invité à traverser pour mieux entrer dans l’image, une énième peinture homéopathique d’une longueur d’environ dix mètres, le modèle d’une cabine en bois dont une dizaine de répliques proposeront une immersion dans un environnement sonore de vents et d’orages, une balance façon Roberval mais à trois plateaux, etc.
Là aussi, il y en a partout, mais ce qui frappe le regard, c’est encore une fois l’omniprésence du dessin. Dire de Fabrice Hyber qu’il est un artiste conceptuel ne suffit évidemment pas à cerner sa démarche, mais comme il le dit lui-même : « Ce qui m’intéresse, c’est de produire des pensées… » Sur un autre mode, il dit aussi que son travail consiste à « créer des sources de quelque chose [qu’il] laisse courir ensuite… »

La métaphore est forte. Elle en appelle aux idées de flux, de rhizome, d’échange, de glissement, bref, à tout ce qui est d’un ordre vital. Et l’on comprend alors comment il aspire à mettre en place un réseau d’écoles qui permettraient à de petits groupes d’individus de penser l’œuvre en termes de production dans une dynamique d’entreprise qui ne manquerait pas de faire bouger les choses.

- « Matières premières », du 28 septembre au 7 janvier 2013. Palais de Tokyo, palaisdetokyo.com

-« Essentiel. Peintures homéopathiques », du 6 octobreau 6 janvier 2013. Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence (06), www.fondation-maeght.com

- « Prototypes d’objets en fonctionnement POF », du 20 octobre au 20 janvier 2013. MaC/VaL à Vitry-sur-Seine (94), www.macval.fr

Biographie

1961 Naissance à Luçon (85).

1989 L’Homme de Bessines, commande publique installée dans cette commune de Poitou-Charente.

1997 Il représente la France à la Biennale de Venise.

2005 Le chorégraphe Angelin Preljocaj l’invite à réaliser les décors et les costumes du ballet Les 4 Saisons…

2011 En octobre, l’Institut Pasteur, qui avait déjà reçu Fabrice Hyber en 2010 pour son exposition « Pasteur’s Spirit », accueille une nouvelle création de l’artiste intitulée Sans gêne créée sur des carreaux de céramique réalisés en collaboration avec la Manufacture de Sèvres.
 

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Fabrice Hyber - L’atelier des possibles

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