Exposition - De quoi sont capables les intelligences artificielles ? Quelles sont leurs promesses et leurs limites ? En quoi pourraient-elles constituer une menace, comme le suggère avec une belle régularité la doxa médiatique ? Pour son vingtième anniversaire, le Cube, centre de création et de formation au numérique à Issy-les-Moulineaux, répond à ces questions d’une sorte de mise en abyme, à découvrir depuis chez soi.
« IA, qui es-tu ? » est une exposition participative en ligne, fondée sur un dispositif fictionnel. Elle décrit les activités d’EMET, une multinationale qui propose à ses clients d’augmenter leur conscience et, si leurs ressources le permettent, de la télécharger sur le « Grand Réseau ». Son produit phare, iMortality, déroule la promesse classique du transhumanisme : il invite à se délester d’un corps périssable et imparfait pour atteindre l’immortalité dans le cloud, sous la forme d’une conscience réduite à une somme de données. Pour mieux mimer l’entreprise commerciale, « IA, qui es-tu ? » vous convie à un chat avec Ada. Ce bot, ainsi nommé en hommage à Ada Lovelace, fille de Lord Byron et première codeuse de l’histoire, fait ici office d’agent commercial et sonde votre intérêt pour iMortality. Ce faisant, il expose les grands débats liés à l’IA et leur résonance dans le champ esthétique. Sous couvert de vous convaincre, Ada prétend ainsi défaire une à une toutes les idées reçues associées au machine learning, et convoque pour cela une dizaine d’œuvres d’art. L’IA serait incapable d’amour et de sensibilité ? Je vous aime d’Antoine Schmitt et Soul Shift de Justine Emard suggèrent qu’elle pourrait ne pas être totalement étrangère aux liens et aux affects. Elle ne sait pas jouer ? Ada rappelle que Deep Blue a battu Kasparov dès 1997 aux échecs, et propose de découvrir les performances des algorithmes dans le domaine du jeu vidéo. Elle nous invite ainsi à visionner Infinite Mario de Robin Baumgarten, où l’on voit un programme expédier le jeu Nintendo en un temps record. L’IA est dépourvue de morale ? Dans Ethical Autonomous Vehicles, Matthieu Cherubini suggère à partir d’une série d’études de cas portant sur une voiture autonome que leur éthique est affaire d’arbitrages. Elle n’a aucune conscience ? Dans Narciss, Christian Mio Loclair met en scène une machine se percevant elle-même via un ensemble de capteurs et d’objectifs. Enfin, « IA, qui es-tu ? » sonde le potentiel créatif des intelligences artificielles. Sont-elles capables de concevoir des œuvres d’art ? Vont-elles précariser encore davantage les artistes ? Omnia de Sougwen Chung les décrit comme des alliées, sinon des assistants du geste créatif, et Sanctuary de Jean-Claude Heudin montre qu’elles peuvent aussi prendre en charge la composition d’un album musical. Pourtant, ces œuvres n’éclipsent pas tout à fait les doutes qu’elles étaient censées dissiper. La plupart d’entre elles sont équivoques, à double lecture. Sans la condamner tout à fait, elles signalent l’intelligence artificielle comme un champ complexe, dont le développement se tient sur une ligne de crête étroite entre promesse et cauchemar. Alors, quand Ada vous demandera si vous êtes prêt à souscrire au programme iMortality, il se peut que vous hésitiez encore. À moins que vous ne déléguiez aux artistes le soin d’en prospecter encore un peu les potentiels et les imaginaires…
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Exposer les intelligences artificielles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°751 du 1 février 2022, avec le titre suivant : Exposer les intelligences artificielles