Devant un imposant escalier intérieur d’une villa cossue, un homme élégant en smoking, immobile, une valise à la main, regarde droit devant lui. À l’arrière-plan de l’image, figé, Erwin Olaf attend ou envisage la situation avant de s’engager, le visage au profil acéré, capté, éclairé par une lumière du jour aussi crue, blanche, que le col de sa chemise et la rampe de marbre blanc de l’escalier.
Tapisseries, boiseries des murs, parquet ciré, fauteuils en cuir, tableau et mobilier renvoient à la décoration d’une demeure aristocratique. Décor et lumière sombres pour une image où prédomine en premier plan la silhouette sculpturale d’un athlète noir juché sur un chariot de jeu d’enfant, tout aussi figé dans son maillot couvert de médailles.
Le regard fixe là l’objectif, mais renvoie à la même intériorité, au même silence et au même questionnement face à un drame muet que l’on pressent. Troublante image d’un artiste en prise avec l’histoire, la vie, sa vie, ses souvenirs et la maladie qui a réduit progressivement ses forces et limite ses faits et gestes.
Une histoire personnelle en arrière-plan
Erwin Olaf le reconnaît : « Berlin renvoie à ce que je suis et ressens en ce moment. » Ce n’est pas la première fois que le photographe néerlandais se met en scène et livre par bribes un peu de lui, de cette part d’être en butte avec ses secrets, ses craintes, sa peur de vieillir, notamment du moins avec la conscience vive du corps dans ses transformations au fil du temps. À La Sucrière, à Lyon, qui lui consacre une rétrospective, les séries qu’il a sélectionnées, telles que The Keyhole, Separation ou les trois autoportraits de 2009 I Wish, I Am, I Will Be, parlent toutes indirectement de son histoire personnelle, qu’il tait.
La pudeur, chez Erwin Olaf, fait partie du langage, à l’instar du sensible, de l’émotion, de la beauté qui le transportent, le propulsent dans la construction de chaque série. « Avec Berlin, je voulais raconter une histoire d’inquiétudes, de non-dits, de confrontations entre l’enfant et l’adulte », dit-il. « La photographie comme un journal de sa vie », comme un condensé aussi de métaphores avec pour cadre Berlin, centre de l’histoire mouvementée et trouble de l’Europe du XXe siècle. Après The Keyhole (2011), un autre film se déroule en plans-séquences fixes, mais là avec des enfants, maîtres tout-puissants d’un jeu aux règles parfaitement définies. Attitudes, vêtements, regards imposent avec assurance la force et la beauté de leur jeunesse ; ceux des adultes, le reflet absent, mélancolique ou en retrait de leur état d’âme au présent réduit aux heures flamboyantes du passé.
On est loin de l’univers des campagnes provocantes de Diesel, Levi’s ou Heineken, célébrant l’hédonisme, la décadence, qui ont séduit le monde de la publicité et de la mode. Depuis Rain, réalisée en 2004, le perfectionnisme des mises en scène revient régulièrement sur l’énigme du réel avec un goût aiguisé du détail et de la reconstitution, des clairs-obscurs, également, évoquant ici les grands noms de la peinture flamande ou allemande des années 1920-1930. « Berlin est certainement ma série la plus introvertie », confie Erwin Olaf, l’une de celles, surtout, où la solitude de chaque adulte, du clown blanc lui-même – personnage récurrent de son œuvre –, répond en écho à celle de plus en plus recherchée par l’artiste.
1959
Naissance à Hilversum (Pays-Bas).
1977
Étudie le journalisme à Utrecht.
1988
Premier prix du concours Young European Photographer avec la série Chessmen.
2011
Prix Johannes Vermeer pour son œuvre.
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Erwin Olaf - L’intériorité en rempart
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Abonnez-vous dès 1 €« Émotions-Installations », exposition à La Sucrière, 49-50, quai Rambaud, Lyon (69), www.lasucriere-lyon.com, jusqu’au 30 juin 2013.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°658 du 1 juin 2013, avec le titre suivant : Erwin Olaf - L’intériorité en rempart