L’Institut d’art contemporain de Villeurbanne donne à voir, sous toutes ses coutures, l’œuvre de l’artiste américain Matt Mullican.
VILLEURBANNE - Dix ans après sa dernière exposition en France, au Magasin (Grenoble), Matt Mullican prend ses quartiers à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne où son œuvre complexe trouve un nouvel éclairage. L’accrochage luxuriant de « 12 by 2 », réunissant une quantité vertigineuse de dessins, carnets, peintures, vidéos ou sculptures, est une porte d’entrée « dans le cerveau de Matt Mullican » selon la directrice des lieux, Nathalie Ergino. Mais si l’exposition marque un temps fort dans l’œuvre de l’artiste américain, c’est pour entreprendre la réunion de deux aspects jusque-là dissociés de son travail. Car, depuis les années 1970, tout en développant sa cartographie du monde d’après une signalétique personnelle, Mullican s’adonne à l’hypnose au cours de performances où il réalise des œuvres désignées comme « That Person’s Work » (l’œuvre de l’autre). En slalomant entre les multiples représentations de la cosmologie de Mullican et les dessins automatiques de That Person, l’exposition scelle la réconciliation de l’artiste et de son double comme la solution d’une énigme.
Figure récurrente dans l’œuvre, la mise en abîme déteint sur le parcours, dont les douze salles suivent une chronologie tout en se donnant chacune comme une exposition à part entière. La première est une antichambre qui guide sans ménagement le visiteur au cœur de la cosmologie de Mullican. Les murs, recouverts de dessins issus des archives de l’artiste, racontent l’élaboration d’un système de signes, ou encore d’une mythologie personnelle (Mullican aurait choisi ses parents avant sa naissance). Au sol est déroulé l’étendard de la cosmologie, qui représente le monde hiérarchisé en cinq parties et cinq couleurs. Cette conception personnelle de l’univers met en évidence l’opposition catégorique de la matérialité (en vert, au bas de l’échelle) et de la spiritualité (au sommet, en rouge).
Pressenti dans les travaux exposés dans les salles suivantes, le double survient à mi-parcours, dans un labyrinthe de peintures et de collages sur drap blanc. Bien que l’artiste le désigne comme une pure « entité subjective », sans âge ni sexe, l’œuvre de That Person contient le portrait en creux d’un véritable personnage : on y apprend qu’il aime la cuisine, ne rate aucune fête de Noël, fait ses comptes, collectionne les images de fleurs, écoute des chansons d’amour. Alors, par quelle logique ce travail conceptuel d’artiste linguiste et cette libération expressionniste du trait et du corps dans les performances sous hypnose s’imbriquent-ils ? L’exposition distille les indices de leur interdépendance par la répétition du chiffre deux – jusque dans le titre –, ou de manière des plus convaincantes quand l’univers de That Person se reflète telle une anamorphose dans les boules de cristal sur lesquelles est gravé le schéma de la cosmologie.
La piste remonte dans la quatrième salle, métaphore de l’atelier, qui relate les recherches menées, dans les années 1970, entre la représentation et la performance. En animant un cadavre ou en faisant vivre un personnage stylisé sur le papier (Glen), Mullican joue le marionnettiste (ou le démiurge) pour expérimenter la dissociation du corps et de l’esprit, le passage de l’objet au sujet dans le souci obsédant de « rentrer dans l’image ». D’où l’aller-retour entre l’immersion sensorielle et la représentation dans l’exposition, qui se retrouve dans le jonglage entre la cosmologie platonicienne et l’épicurisme dans l’œuvre de That Person. Cette schizophrénie mettrait-elle en scène le complexe existentiel de l’homme de chair et d’esprit ?
Basculement critique
Cette impasse philosophique est au centre de l’œuvre. Cependant, un basculement critique s’opère quand la conscience sous hypnose s’exprime dans un tel conformisme : le « ça » de Mullican aux goûts stéréotypés transgresse peu les normes socioculturelles (il évite même le sujet du sexe par des dessins métaphoriques). That Person serait le pur produit de la société « médiatico-consummériste ». Alors la répétition obsédante de la cosmologie sous toutes les formes possibles ne pourrait-elle pas contenir la référence à un système de pensée galvanisant, semblable à celui qui a formaté That Person ? La signalétique de Mullican, quand elle s’illustre sur des panneaux métalliques, évoque bien celle qui envahit une société sous contrôle. Pas étonnant alors qu’il s’intéresse au frottage, « ancêtre de toutes les techniques médiatiques », et se soit essayé aux vitraux.
jusqu’au 29 août, Institut d’art contemporain, 11, rue Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-ac.eu, tlj sauf lundi et mardi 13h-19h, visite commentée samedi et dimanche 15h. Catalogue à paraître.
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Dr Jekyll et Mr. Hide réconciliés
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Nathalie Ergino, directrice de l’Institut d’art contemporain
- Nombre de salles : 12
- Nombre d’œuvres : plus de 1 300
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Dr Jekyll et Mr. Hide réconciliés