La galerie Gaudel de Stampa, à Paris, donne à voir des œuvres récentes de Dove Allouche (né en 1972), où l’image tire de plus en plus vers l’abstraction et l’évanescence. Entretien avec l'artiste.
Vous exposez ici une série de photos exécutées sur des plaques d’argent selon la technique du physautotype. Est-ce plutôt le procédé historique ou l’expérimentation des processus d’apparition de l’image qui vous intéresse ?
L’apparition de l’image m’intéresse ; en revanche, le travail ne démarre jamais d’un procédé historique ou ancien. Ce n’est jamais la recette qui est à l’origine d’un projet mais plutôt l’inverse ; je mets à chaque fois les sujets en relation avec des médiums particuliers. Ensuite, l’histoire de la photographie m’intéresse, mais tout autant que celle des sciences naturelles.
Pour la série « Granulation » (2013), j’ai reproduit à l’aide de la technique du physautotype les images du premier Atlas de photographies solaires publié en 1903 par Jules Janssen. Le mode d’apparition des images produites par ce procédé est très particulier puisque l’image est non pas incrustée dans l’argent mais déposée comme un film très subtil, qui est presque de l’ordre du mélange gazeux. Et c’est exactement ce que produit ce phénomène de granulation à la surface du soleil, car la photosphère est à la fois un plasma, un mélange gazeux, et cette multitude de grains qui se déplacent sans cesse et produisent de la lumière pendant leur mobilité. Enfin la lavande, après avoir subi une multitude d’opérations chimiques élémentaires, a une capacité cristalline, elle réfléchit la lumière et décompose le spectre lumineux. Il y a donc une correspondance entre le sujet et la technique qui fonctionne par analogie, par tautologie, par renvoi.
Votre travail soulève nombre de questions relatives à l’obscurité, à l’apparition, à la révélation. On le constate également dans les deux dessins L’Origine de la source (2013)…
Ce sont des histoires qui m’intéressent, d’autant que j’ai commencé assez récemment à travailler avec les outils de la photographie pour produire des dessins. Les dessins tels que je les faisais il y a encore quelque temps étaient produits avec de l’encre et du graphite. Aujourd’hui c’est plutôt avec la chimie photographique et notamment l’oxyde d’argent, qui a la propriété de s’obscurcir en s’oxydant. Ces dessins vont donc évoluer. Ceux que j’exécute en ce moment intègrent cette capacité à s’obscurcir, ce qui me conduit de plus en plus vers la clarté.
La fragilité et l’évanescence sont-elles pour vous des sujets de réflexion ou simplement des conséquences de votre pratique ?
Depuis que j’ai commencé à m’intéresser à la chimie élémentaire, cette question devient vraiment centrale. C’est-à-dire la production d’images qui ne sont plus seulement dans des seuils de visibilité mais où l’on trouve à la fois cette question de la distance focale à partir de laquelle elles apparaissent et cette évanescence dont vous parlez. L’image est donc instable, va se transformer dans le temps, et c’est un paramètre que j’intègre complètement. De même que ces œuvres intègrent leurs propres règles et imposent leurs conditions de conservation.
L’image est parfois confuse. N’est-ce pas un aspect central de votre travail ? Elle tend à aller vers autre chose que ce qu’elle est réellement, voire vers une certaine abstraction…
C’est le chemin vers lequel je tends de plus en plus et à mes dépens : assez vite, le sujet importe de moins en moins, et les dessins, plutôt que de représenter des sujets précis, deviennent en fait des émulsions, ou photosensibles ou sensibles à l’air. Un déplacement est en tout cas en train de s’opérer, vers l’abstraction. Et dans le travail de dessin à partir des images, cette question du temps investi dans les œuvres m’importe toujours. Ce temps n’est pas uniquement une histoire de posture, c’est aussi un moyen d’essorer les sujets et de les pousser dans leurs retranchements. Il y a une double soumission au temps, qui est à la fois celui du sujet lui-même et celui de la multitude d’opérations produites pour réaliser les œuvres. Avec pour résultat des images non pas fantômes, car elles existent, mais des images résiduelles qui prennent aussi leur propre autonomie par rapport aux sujets dont elles sont issues.
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Dove Allouche : « Un déplacement s’opère vers l’abstraction »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 mars, galerie Gaudel de Stampa, 3, rue de Vaucouleurs, 75011 Paris, tél. 01 40 21 37 38, gaudeldestampa.fr, du mercredi au samedi 12h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Dove Allouche : « Un déplacement s’opère vers l’abstraction »