Portrait de l’artiste et de son directeur de musée en un seul homme, ou l’histoire d’un graphiste à la tête du Stedelijk Museum d’Amsterdam.
PARIS - Vouloir mettre en place une nouvelle politique muséographique lorsque l’on dispose déjà entre ses mains d’outils décisifs pour la communiquer est un avantage indéniable. C’est ce qu’il advint à Willem Sandberg (1897-1984), graphiste et typographe reconnu, qui mit son art au service du Stedelijk Museum d’Amsterdam, dont il assura la direction entre 1945 et 1962. L’exposition que lui consacre aujourd’hui l’Institut néerlandais à Paris retrace précisément cette période en distinguant volontairement ses deux casquettes. La scénographie est sobre et la typographie des textes de présentation élaborée.
Au premier étage est mise en avant son action en tant que directeur de musée, à travers notamment l’une de ses missions primordiales : l’enrichissement de la collection permanente. Les pièces ici présentées disent le goût certain de Sandberg et surtout son flair pour dénicher des œuvres importantes. Entreront alors, entre autres, au Stedelijk Museum Constant, Mondrian, Arp, Kandinsky, Corneille et Van Doesburg. Sandberg prospecte tous azimuts : chez les galeristes évidemment, mais aussi directement auprès des artistes. Ainsi en est-il de cette toile intitulée Composition de Bart van der Leck, de ce grand Mobile de Calder acquis en 1955, année même de sa création, ou de cette Chaise en rouge et bleu de Gerrit Rietveld. Sandberg ira même jusqu’à faire ses « emplettes » dans les grands magasins. En témoignent ces textiles signés Picasso ou Miró et la chaise BKF dessinée en 1939 par le Grupo Austral, tous achetés chez De Bijenkorf, à Amsterdam.
Sous l’ère Sandberg, l’institution amstellodamoise prendra du galon autant sur le plan international que local. Car si l’homme exprime une préférence marquée pour les jeunes artistes provocateurs – il expose, dès 1949, le groupe CoBrA –, il est également sensible aux désirs du public. Ainsi, la légende veut qu’il ait été le premier au monde, dans les années 1950, à enregistrer une visite guidée sur magnétophone. Sandberg n’hésite pas non plus à lorgner du côté de disciplines jusqu’alors jugées insolites, tels le cinéma ou la photographie – pour preuve : cette série en noir et blanc de la Néerlandaise Emmy Andriesse, ici montrée. En outre, chaque année, parallèlement aux présentations dédiées à la peinture et à la sculpture, il consacre pas moins d’une dizaine d’expositions aux arts appliqués, au design et au graphisme. Bref, l’homme est un adepte de « l’ouverture » et imprimera, de fait, une orientation forte au Stedelijk Museum.
Directeur graphiste
Au sous-sol, Sandberg abandonne sa casquette de directeur pour enfiler celle de graphiste. Le parcours dévoile comment l’homme, pendant la petite vingtaine d’années où il était aux commandes du Stedelijk Museum, a été à la fois au four et au moulin. Est, en effet, ici exposé son fabuleux et prolixe travail graphique. Sandberg a conçu tout le matériel de communication du musée : les affiches des expositions (Paul Klee, Henry Moore, Picasso...), les catalogues (Oskar Schlemmer, Ben Nicholson, Le Corbusier...) et même les cartes de vœux ou de remerciements. Ses compositions, systématiquement asymétriques, sont certes expérimentales mais néanmoins ludiques. Parfois, des formes découpées, sinon déchirées, se superposent. Sur un fond généralement blanc, Sandberg joue le plus souvent avec une image – photographie ou dessin – et quelques mots seuls apparaissent, le nom de l’artiste et celui du musée. Il y a peu de couleurs – Sandberg affectionnait le rouge et le bleu et détestait le vert –, mais elles sont vives, d’où des contrastes appuyés. Toute son œuvre tend vers un dépouillement, une clarté, une lisibilité maximale.
En 1940, les Pays-Bas sont occupés par les troupes allemandes et Sandberg entre dans la résistance. De la fin de l’année 1943 à avril 1945, il compose les maquettes d’une série de dix-neuf petits livres sous le titre « Experimenta typografica », dont on peut voir ici quelques exemplaires. C’est la partie la plus passionnante de l’exposition. Mélangeant ses propres textes écrits à la main avec des citations empruntées au fil des ans à des écrivains, des artistes ou des philosophes, Sandberg y exprime sa vision de la vie et du monde, par le biais de thèmes aussi disparates que l’amour, la mort, la connaissance de soi, l’architecture ou l’art.
Fin décembre 1962, Sandberg prend sa retraite et quitte le Stedelijk Museum. Une centaine d’artistes lui offre des œuvres. Il les donne au musée.
Jusqu’au 20 janvier, Institut néerlandais, 121, rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 53 59 12 40. Catalogue de Ad Petersen, éditions Xavier Barral, 224 p., 39,50 euros, ISBN 978-2-915173-29-1
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires de l’exposition : Carolien Glazenburg, conservatrice chargée du graphisme au Stedelijk Museum d’Amsterdam ; Ad Petersen, ancien conservateur au Stedelijk Museum d’Amsterdam
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Double casquette