« Je rêve d’une grotte sombre où tout oublier. » Enfant, Gaëlle Bourges aimait s’envelopper d’obscurité en glissant sa tête dans un carton.
Plus tard, du temps où elle travaillait dans la cave d’un club de strip-tease, le noir protégeait tout en allumant son effeuillage. Dans Lascaux, pièce pour quatre interprètes créée pour le festival « Les Inaccoutumés », la voilà qui plonge carrément dans les entrailles terrestres où l’art serait né d’après Georges Bataille. Pas le Lascaux (II), fac-similé reconstitué pour le plaisir des touristes, encore moins sa version itinérante, celle qui fait actuellement le tour du monde. Mais le Lascaux fermé au public depuis 1963, où les bisons s’ébattent à l’abri des regards. Le Lascaux du dedans, qu’on ne peut voir qu’en fermant les yeux. Forcément merveilleuse car inaccessible. Boîte au trésor dont on a perdu la clé. Animale, avec son bestiaire de vaches noires, chevaux et cerfs, ses cavalcades de taureaux immenses ou sa mystérieuse « licorne ». On le sait, à Lascaux, l’homme est rare – le seul représenté possède une tête d’oiseau. Il le sera également sur scène : masqué, concentré en des voix, des chants, réduit à l’état de visions fugitives dont Gaëlle Bourges a le secret. Chez elle, la délicatesse des déplacements et du décor où rien ne pèse n’exclut pas une certaine crudité du propos, insolence incorporée dans une marche gracieuse. Nudités mordantes dont elle interroge les stéréotypes et les lois.
Après s’être penchée sur l’histoire de l’art, de l’Olympia de Manet (dans La Belle Indifférence) à la tapisserie de La Dame à la licorne (dans À mon seul désir), la chorégraphe s’offre une évasion préhistorique. Une danse souterraine d’avant l’écriture, qui lie le strip-tease (et son théâtre) à la peinture rupestre. Mêmes épidermes sur lesquels se projettent les ombres du désir, du pulsionnel. Même Origine du monde qui happe l’œil dans son antre – dans la toile de Courbet, le sexe féminin isolé en gros plan est aussi un paysage minéral. Retour à l’inintelligible, au jeu, au sacré et, pour plagier Pascal Quignard, à cette amnésie utérine, cette nuit sexuelle d’où nous venons tous.
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Danse de grotte
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Lascaux de Gaëlle Bourges.
Où ?
Du 1er au 3 décembre 2015 au festival « Les Inaccoutumés » et le 21 janvier 2016 au festival « Vivat la danse ! ».
Quand ?
Ménagerie de verre, Paris-11e et Le Vivat, Armentières (59).
Comment ?
www.menagerie-de-verre.org et www.levivat.net
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : Danse de grotte