Art contemporain

Parcours

Dans le cerveau de Jean-Jacques Lebel

L’artiste performeur intervient à la Maison rouge. Plus que son art lui-même, ses goûts et amitiés, qui lui fournissent substance et méthode, sont mis en lumière

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2009 - 699 mots

PARIS - Tenter de pénétrer et d’ausculter le cerveau de Jean-Jacques Lebel, telle est la mission à laquelle Jean de Loisy, de son propre aveu, s’est attelé afin de composer l’exposition que la Maison rouge, à Paris, consacre à cet artiste inclassable.

Une vaste tâche, tant le résultat donne à parcourir un cheminement fourmillant de ramifications, dont la multiplication des ouvertures, des références convoquées et des invitations lancées, assoit un propos allant bien au-delà d’une production artistique comprise comme relevant du seul acte créatif, effectué dans la solitude de sa pensée ou de son atelier. Car, pour Lebel, il n’est de création artistique que collective ; un ouvrage à plusieurs voix, à entendre tant en termes d’inspiration que de processus de travail, qui fait d’une nourriture complexe et diversifiée le préliminaire à toute forme de réflexion. Et au final une œuvre qui relève tant de son regard que de la production. Cette forme de pensée est notamment illustrée par la présence dans le parcours de cadavres exquis surréalistes, ou d’un tableau collectif en quatre parties composées par Camilla Adami, Erró, Peter Saul et Lebel lui-même, dont l’ordonnancement peut varier en fonction des humeurs (Sans titre, 2006). L’artiste s’explique très clairement lorsqu’il déclare, dans un entretien avec le commissaire publié dans le catalogue de l’exposition : « Je ne peux pas envisager la mise en œuvre de quoi que ce soit sans que s’y intègrent d’autres subjectivités que la mienne, que je puisse les identifier ou pas, anonymes ou connues, contemporaines ou non. »

Dimension affective
C’est donc un Lebel tout à la fois producteur et collecteur (ainsi qu’il se définit lui-même) qu’il est ici donné de rencontrer, dans un accrochage pensé tel un rhizome envisagé comme un principe structurant de sa pensée et porté, si ce n’est généré, par une dimension affective. En témoigne notamment une grande salle où, à côté de son Monument à Félix Guattari (1994), figure qui l’a fortement influencée, sont accrochés pêle-mêle des travaux de Yoko Ono, Wolf Vostell, Tetsumi Kudo ou John Giorno… Mais la famille, au sens élargi du terme, de l’artiste se compose aussi de parfaits inconnus, notamment ceux qui ont réalisé une foultitude d’œuvres, objets ou documents, pour beaucoup collectés aux puces, qui donnent à l’accrochage une belle vitalité. À commencer par cette collection de marteaux suspendus au plafond (Hommage à Marcel Duchamp et André Breton, 2006) mis en relation avec des documents d’époques variées évoquant les barricades.
Pointe là, dès l’entrée de l’exposition, une gourmandise affirmée et jamais mise en berne pour toutes les formes de lutte et d’irrévérence lui permettant de se dresser contre l’ordre établi – politique, moral, religieux, social… –, à laquelle le titre de la manifestation, « Soulèvements », donne une forme d’éclairage. Elle se trouve illustrée, entre autres, par une délicieuse vitrine rassemblant des objets licencieux allant de l’art populaire mexicain à des figurines Empire ou un outil Bambara très phallique.
La progression dans le cerveau de Lebel, dans cet « ensemble psychique global » qu’est devenue l’exposition, s’accomplit donc au fil de ses obsessions révélées. Ici l’Eros – grand sujet de préoccupation ! – où voisinent Pierre Molinier, Picabia, Egon Schiele, Jacques Monory ou Otto Dix. Là un intérêt marqué pour les écrivains ayant produit des travaux visuels, où dialoguent Victor Hugo, Antonin Artaud, Serge Pey ou Allen Ginsberg. Ailleurs la métamorphose, avec des figures d’Erró, Tinguely, Antonio Saura ou Arcimboldo. Partout se fait jour une forme de goût pour la curiosité, pour une certaine étrangeté que résume une section centrale du parcours consacrée à l’énigme. Avec un tableau anonyme du XVIIe siècle (La Chasse à la chouette) où des oiseaux sont affublés de visages humains, une Cérémonie (1947) de Victor Brauner, ou des centaines de douilles de canons sculptées dans les tranchées par les poilus de la Première Guerre mondiale, s’affirme toujours plus la résistance posée comme pierre angulaire de sa réflexion. Une résistance génératrice de mariages anormaux.

JEAN-JACQUES LEBEL, SOULÈVEMENTS, jusqu’au 17 janvier 2010, la Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamai sonrouge.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Catalogue, coéd. la Maison rouge-Fage Éditions, 240 p., 25 euros, ISBN 978-2-84975-179-4

JEAN-JACQUES LEBEL
Commissaire : Jean de Loisy
Nombre d’artistes : environ 110
Nombre d’œuvres : environ 300

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Dans le cerveau de Jean-Jacques Lebel

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