Sur la scène loquace du design batave, l’homme fait office d’original, tant il cultive la discrétion.
Et pourtant, il aurait pu beaucoup plus aisément emprunter la voie « royale » : son père, Gijs Bakker, n’est autre que le cofondateur du fameux collectif néerlandais Droog Design, entité qui, en matière de création, a fait la pluie et le beau temps ces deux dernières décennies, aux Pays-Bas et ailleurs. Aldo Bakker, 39 ans, a préféré prendre un chemin de traverse, moins officiel, plus intimiste. Né en 1971 à Amersfoort (Pays-Bas), Aldo Bakker a d’abord suivi les cours de la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam, puis ceux de la célèbre Design Academy d’Eindhoven – école dans laquelle il enseigne depuis 2002 –, avant d’ouvrir sa propre agence, en 1994, à Amsterdam. Adepte de la belle forme, le designer interroge les objets dans leur usage, quitte à bousculer les modèles existants et à inventer de nouveaux rituels. On pense notamment à cette série de pièces en porcelaine, livrée l’an passé, tel cet étonnant pot à lait en forme de… manche à air de paquebot ! Ou à ce singulier « plateau à huile » étrangement replié à angle droit. La raison ? Lorsque l’utilisateur trempe un bout de pain dans l’huile stagnant dans la partie horizontale, il lui suffit ensuite de le remonter en l’appuyant légèrement sur la partie verticale, avant de le mettre en bouche dans un mouvement serein, sans risquer la goutte fatale qui s’en détacherait… Dans le même registre, il invente une façon inhabituelle de se servir d’une carafe d’eau ou d’utiliser un vinaigrier. On distingue chez Bakker un penchant certain pour la perfection, doublé d’une détermination inlassable à comprendre divers artisanats. Il se révèle être également un as de l’expérimentation des matériaux. Ainsi, pour une ligne de meubles et d’objets fabriqués en laque japonaise Urushi (The Urushi Series), il n’a pas hésité à user d’une technique traditionnelle que seuls quelques maîtres nippons possèdent encore et qui ne nécessite pas moins de… soixante couches de vernis ! La qualité de finition de ces pièces est tout simplement incroyable. Ainsi, le regard se noie littéralement dans le plateau de la table basse tant celui-ci est profond.
Calligraphie arabe
Outre l’aspect visuel, le toucher est une notion essentielle dans le travail de Bakker, autrement dit la perception tactilo-kinésthésique ou « haptique » – du grec aptomai, qui signifie « je touche ». Définition : « Perception qui résulte de la stimulation de la peau produite par des mouvements actifs d’exploration de la main entrant en contact avec des objets. » Bref, le poids de l’objet a une importance, tout comme sa texture. Ainsi en est-il de la dernière recherche qu’il a montrée, en avril, au Salon du meuble de Milan : « The Copper Collection » (1), série de sept objets réalisés en… cuivre, un matériau réputé ingrat. L’esthétique de ces pièces semble ciselée telle une calligraphie arabe. Hormis le tabouret – la plus grande pièce de la collection – un brin lourdaud, les autres objets adoptent une légèreté peu commune. La matière se fait aérienne. Le chandelier est une lamelle gracile à la courbure sensuelle. Et le contenant à sauce de soja digne d’une lampe d’Aladin. Aussi étonnant que cela puisse paraître, on oublie aussitôt l’aspect « fait main » de ces pièces pour n’en lire que l’esthétique maîtrisée à l’extrême.
(1) « The Copper Collection » se compose de sept objets. Seul le chandelier (120 euros) est produit en série. Les autres items font l’objet d’une édition limitée à 15 exemplaires chacun : arrosoir (2 310 euros), contenant à sauce de soja (3 850 euros), bol mélangeur (2 970 euros), photophore (3 110 euros), casserole (9 680 euros) et tabouret (14 300 euros). Tous sont édités par la firme néerlandaise Thomas Eyck (www.thomaseyck.com).
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Aldo Bakker - Cuivre dans son jus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Aldo Bakker - Cuivre dans son jus