PARIS
Il se voyait comme un artisan de la mémoire, travaillant sur l'absence et la mort : géant français de l'art contemporain, hanté par la Shoah, Christian Boltanski est décédé mercredi à l'âge de 76 ans.
« Il est mort ce matin à l'hôpital Cochin (à Paris), où il était depuis quelques jours », a indiqué à l'AFP Bernard Blistène, ancien directeur du musée d'art moderne au Centre Pompidou à Paris, qui lui avait consacré une rétrospective en 2019-2020. « Il était malade. C'était un homme pudique, il a caché les choses aussi longtemps qu'il a pu », a détaillé M. Blistène, confirmant une information du journal Le Monde.
Autodidacte, le plasticien à la renommée internationale confiait avoir « lutté contre l'oubli et la disparition » avec ses œuvres accessibles mêlant objets hétéroclites, vidéos, photographies et installations.
« C'est une très grande perte, a déploré M. Blistène. Il aimait par-dessus tout cette transmission entre les êtres, par des récits, par des souvenirs. Il restera comme un des plus grands conteurs de son temps. C'était un inventeur incroyable. » « À la fois monumentale et spectaculaire, son œuvre restait toujours à son image, humble, secrète et mystérieuse ». Avec l'artiste « Annette Messager, sa compagne, il avait réussi à tracer une route reconnue internationalement, notamment à la Biennale de Venise, chacun d'eux trouvant la marque de sa propre mythologie », a salué de son côté l'ancien ministre de la Culture Jack Lang.
La galerie Marian Goodman, poids lourd de l'art contemporain avec ses antennes à New York, Paris et Londres, qui représentait Boltanski depuis la fin des années 80, a mis en avant ses « réponses uniques, contemplatives et méditatives face à la vie et son cheminement », et mis en ligne une photo en noir et blanc de l'artiste. Le musée d'Orsay, le centre Pompidou ainsi que la Biennale de Venise se sont joints aux hommages sur les réseaux sociaux.
« Goût du bricolage »
Fils d'un médecin juif converti d'origine ukrainienne et d'une corse catholique, Christian-Liberté Boltanski naît le 6 septembre 1944. Pendant l'Occupation, sa mère atteinte de polio cache son père sous le plancher de l'appartement. Ils simulent un divorce et prétendent que le père a quitté Paris. Son neveu Christophe Boltanski raconte cette famille atypique dans « La Cache », salué par le prix Femina 2015.
En 2020, le Centre Pompidou avait consacré à cet homme chauve, silhouette massive et sourire pétillant, une exposition en forme de rétrospective, « Faire son temps », conçue comme une gigantesque œuvre unique. Avec lui, « une exposition était comme un véritable récit, comme un grand mouvement », se souvient M. Blistène, qui le connaissait depuis une quarantaine d'années. L'évènement s'ouvrait sur un choc visuel : une vidéo d'un homme assis qui ne cesse de vomir. Vidéo qui dit l'enfermement connu par sa famille durant la guerre et les années qui suivirent, imprégnées du récit de la Shoah omniprésent.
« Ce qui compte avant tout (dans son œuvre), c'est l'émotion. Il s'attachait à susciter cette émotion. Ils sont rares les artistes qui ont su faire ça, avec des outils simples, des matériaux simples, le goût du bricolage », décrit encore l'ancien directeur du Centre Pompidou. Parmi ses œuvres, on retiendra aussi d'autres projets iconoclastes : Christian Boltanski avait ainsi compilé sur une île japonaise les battements de 75 000 cœurs, vendu sa vie en viager à un collectionneur en Tasmanie et tenté de parler avec les baleines de Patagonie.
Montrée en début d'année, sa dernière exposition « Après », à la galerie Marian Goodman, à Paris, faisait cohabiter une installation avec des masses de tissus blancs sur des chariots avec des projections aux murs de visages d'enfants, dont les traits s'effacent doucement... comme des souvenirs fugaces.
Cet article a été publié par l'AFP le 14 juillet 2021.
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À 76 ans, l'artiste Christian Boltanski a rejoint ses fantômes
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