SAINT-ÉTIENNE
À l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne, enseignants et étudiants veulent changer le monde. La recherche, intéressée par les sciences, la philosophie et la sociologie, va s’ancrer dans le parcours pédagogique.
Saint-Étienne (Loire). On y trouvait la houille, les armes et les rubans de soie. Grâce à une tradition d’innovation, la ville de Saint-Étienne vit aussi naître la machine à coudre, la turbine hydraulique, la première ligne de chemin de fer et la vente par correspondance… Devenue, en 2010, la première ville française, et toujours la seule, classée par l’Unesco « Ville créative du design », Saint-Étienne dispose aujourd’hui d’outils pour promouvoir le design dans ses plus riches évolutions. Implantée sur l’ancien site de la Manufacture d’armes et dirigée par Thierry Mandon, ancien secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, la Cité du design prépare le futur en « plaçant l’humain au cœur de sa réflexion ». Pilier central de la Cité, l’École supérieure d’art et design (Esadse), qui accueille près de 400 étudiants (30 % de boursiers) au sein de ses deux filières historiques, l’art (30 % des étudiants) et le design (70 %), connaît aujourd’hui une nouvelle dynamique sous l’impulsion du designer Éric Jourdan, directeur de l’école depuis un an et demi.
Après la création d’une classe préparatoire publique qui vise à assurer une plus grande diversité des profils des étudiants, une nouvelle option Design « Publics » est mise en place en partenariat avec Sciences Po-Lyon autour des questions liées aux politiques publiques, tels la place de la voiture en ville, le logement… « Mon expérience professionnelle de designer m’est très utile dans mes fonctions actuelles. Elle me permet de mieux comprendre les aspirations de la société et les demandes des étudiants. Un glissement net est en train de s’opérer. Proximité, décloisonnement, retour du travail à la main, autoproduction… On sent un mouvement global, observe le directeur. L’École doit pouvoir faire vivre des positionnements alternatifs. »
En septembre prochain, grâce à l’aide de quelques entreprises, l’École se dotera aussi d’une formation en alternance pour le master Design. « Être un bon designer, c’est être capable de s’adapter. De reformuler une question pour mieux y répondre », souligne Benjamin Graindorge, designer et enseignant à l’Esadse. « Les outils et les moyens pour répondre sont multiples. C’est cette diversité que nous avons voulu montrer dans l’exposition “Le monde, sinon rien. Rêver, apprendre, renouer” organisée avec les étudiants dans le cadre de la Biennale internationale du design (1) ». Co-commissaire de l’exposition avec Sophie Pène, enseignante-chercheuse (Université Paris-Cité), Benjamin Graindorge insiste sur les « grandes inquiétudes contemporaines qui traversent les étudiants. Mais l’école est un abri. Un endroit de protection. Par cette exposition, nous voulions révéler les urgences qui s’imposent à cette génération. Faire en quelque sorte un portrait d’école ».À travers une trentaine de projets, l’exposition montre comment la jeunesse réagit aux grands défis. « En expérimentant des matières, des procédés. Par la solidarité, analyse Sophie Pène. Et par le travail de recherche scientifique. On ne peut pas répondre aux défis actuels sans connaissances nouvelles. » Benjamin Graindorge le confirme : « Faire de la recherche en design, c’est se nourrir de techniques et de savoir-faire des sciences, de la philosophie, de la sociologie, c’est dialoguer avec des disciplines a priori très éloignées. Alors, ça devient très puissant ! » La plateforme « Recherche », en principe partagée entre la Cité et l’École, doit également se reconfigurer. Coupée des étudiants durant ces dernières années, la recherche devra s’ancrer dans leur parcours pédagogique afin d’inspirer de véritables processus transformateurs. « Les étudiants sont essentiels aux mutations : ils en sont les sujets et les producteurs », relève Sophie Pène.
De jeunes diplômés dessinent déjà des pistes prometteuses. Arrivé à l’École de Saint-Étienne après des études d’informatique, Benoît Zenker, 27 ans, travaille sur des algorithmes de traduction qu’il code lui-même. Ces algorithmes traduisent une forme numérique (une image, une modélisation 3D…) en une autre forme numérique. Comme le designer le rappelle, « pour Walter Benjamin, traduire, c’est mesurer l’écart entre les langues, pour mieux comprendre ce qui les distingue et ce qui les rassemble ». Cette philosophie de la traduction s’applique aux langages informatiques. « En fait, je réutilise des briques informatiques déjà existantes et, en les recombinant, je fabrique de nouveaux produits. C’est la logique du recyclage ! » Pour le site Internet de l’exposition « Le monde, sinon rien », Benoît Zenker et son équipe conjuguent technologie et écologie en créant un beau paysage numérique vivant, qui intègre la 3D, en veillant à minimiser le poids du site, et donc son impact carbone. De son côté, Alexis Guidet, 27 ans, veut inventer un nouveau dialogue entre l’humain et la nature. « Il faut être agressif sur les questions écologiques pour faire plier les modèles actuels ! L’enjeu, c’est de faire entrer partout la problématique de l’anthropocène. » Marqué par son séjour au Japon, Alexis Guidet conçoit le projet « Form Follows Nature » : la nature ne doit plus être utilisée comme décor mais intégrée à la fabrication même des objets, sans contrainte. En laissant pousser des lierres, de la glycine, dans l’espace urbain, le designer se laisse guider par leur développement pour composer des pièces de mobilier. L’exigence ? Considérer la nature comme une fin et non plus comme un moyen. « Il faut faire avec la nature. Et non plus par la nature. »
Agathe Revaillot, 29 ans, veut quant à elle contribuer à une société plus solidaire, plus inclusive. « Comment faire communiquer le monde ordinaire et l’Autistan, le monde des autistes arrêtés au seuil du langage ? » Dans son projet « Vers un dialogue », conduit en lien avec l’association Eurecah, la designer propose plusieurs dispositifs sonores permettant la rencontre et le partage. « Pour moi, l’avenir, c’est le design du “care” ! On l’a expérimenté pendant le confinement. On a tous besoin que quelqu’un prenne soin de nous… Il faut sortir de la consommation à outrance ! »Évidemment, il faut aussi que les collectivités, les entreprises et les institutions suivent.
(1) Biennale internationale Design Saint-Étienne, « Le monde, sinon rien », jusqu’au 31 juillet à la Cité du design, www.biennale-design.com
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Un design qui dialogue et transforme