De nombreux professionnels se sont emparés de la mise en lumière architecturale ou urbaine. Pour donner un nouveau visage à la nuit.
Certes, le terme fait frémir certains artistes, tels Yann Kersalé, James Turrell ou Keiichi Tahara, qui envisagent la lumière comme un matériau d’intervention sur l’urbain ou le bâti, dans une démarche proche de celle des artistes du land art avec le paysage. Mais, force est de constater que l’engouement généralisé pour les mises en lumière de l’espace public – comme en témoignent la Fête des lumières de Lyon, qui se déroule du 7 au 10 décembre, Paris illumine Paris du 2 décembre à la mi-janvier ou les éclairages spectaculaires de monuments (de la cathédrale d’Amiens au Mont-Saint-Michel) – a eu pour conséquence la création d’un nouveau métier : celui de « concepteur lumière ». Cette appellation générique, à laquelle certains préfèrent celle de « designer lumière », fédère des origines professionnelles très diverses : éclairagistes issus de la scène ou du spectacle vivant, techniciens, ingénieurs, architectes, paysagistes, designers… Tout ce petit monde est désormais représenté par une organisation professionnelle très active, l’Association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE), forte de plus de soixante-dix membres et qui ambitionne d’obtenir la reconnaissance de cette profession apparue il y a moins de vingt ans. Le premier bureau d’études indépendant a en effet été créé au début des années 1980 par Louis Clair, un ancien ingénieur technico-commercial. « L’éclairage est rapidement devenu une spécialité à part entière, exigeant des professionnels à plein-temps, au service de la maîtrise d’ouvrage, et donc libres de tout engagement financier envers les producteurs d’énergie, installateurs, fabricants… », écrit ce dernier dans son ouvrage Architectures de lumière (éditions Fragments). Une déontologie dont l’ACE se veut la garante. L’enjeu est crucial quand on sait que Citélum, l’entreprise leader du secteur – en charge de contrats avec de grandes villes françaises et étrangères (Ho Chi Minh-Ville, Venise, Shanghaï ou Pékin) est une filiale d’EDF.
Alors quand on l’interroge sur le sujet, le plasticien Yann Kersalé, précurseur dans l’utilisation du matériau lumière, ne cache pas son irritation. « Il y a en effet un gros flou sur le sujet, concède-t-il. Et il est très dommageable. Lorsque j’ai commencé à travailler, au début des années 1980, le terrain était encore vierge, personne ne s’intéressait à l’espace urbain nocturne, y compris aux États-Unis où les têtes de buildings n’étaient pas éclairées. En 1983, j’ai réalisé un prototype pour la tour Eiffel, puis, en 1987, la verrière bleue du Grand Palais. Après cela, il y a eu un véritable engouement. » Séduites par cette idée de valorisation immédiatement tangible de leur ville, de nombreuses municipalités ont sollicité les entreprises d’éclairage. Créant par là même un appel d’air qui a favorisé le développement du métier de concepteur lumière. Depuis, cette niche – qui était au départ le terrain de jeu de quelques rares artistes souhaitant échapper au diktat de la galerie au profit d’une intervention directe sur l’urbain – est devenue une véritable industrie. « Il y a eu une OPA sur la nuit, poursuit Yann Kersalé. Et elle a abouti à la multiplication des pâtisseries lumineuses, élaborées à partir d’une même recette. »
Malgré des partis scénographiques différenciés, la mission du concepteur est de mettre en œuvre un plan lumière, soit un scénario adapté à un site ou à un édifice, prenant en compte la destination de l’éclairage (fonctionnel ou d’ambiance), mais aussi l’ensemble des paramètres techniques : fonctionnalité, sécurité, durabilité, consommation d’énergie. Pourtant, tous les concepteurs lumière ne sont pas des techniciens. « Je vends un concept. Mais pour la réalisation, je m’appuie sur un bureau d’études », avoue Gilbert Moity, un transfuge de l’éclairage du spectacle vivant qui a travaillé récemment à la mise en lumière des ponts de la capitale, dans le cadre de la campagne olympique « Paris 2012 ». « On ne vend que de la création, ce qui ne nous empêche pas de savoir comment ça marche ! » confirme Yann Kersalé, qui collabore pour sa part avec le meilleur de l’architecture contemporaine (Nouvel, Ricciotti, Coop Himmelblau…). D’autres, au contraire, intègrent la totalité de la prestation dans leurs agences afin de pouvoir répondre aux appels d’offres. Mais, qu’ils soient artistes ou techniciens, tous doivent partager un même sens du volume et de la mise en espace, d’où l’arrivée récente des architectes sur le secteur. Face à la profession de concepteur lumière, aux contours encore mal définis, il revient donc au public et aux donneurs d’ordre de faire la différence entre ce qui relève d’une dimension sensible, propre à une démarche artistique, ou, à l’inverse, d’un simple badigeonnage lumineux normalisé.
Il n’existe aucune formation spécifique. Toutefois certaines écoles proposent désormais des cycles courts spécialisants : - Institut général des techniques du spectacle (IGTS), 73, rue des Javaux, 38320 Eybens, tél. 04 76 62 08 60, www.igts.org : formation de trois mois ouverte aux éclairagistes, régisseurs lumière, techniciens lumière du spectacle vivant et de l’audiovisuel. - École supérieure d’ingénieurs de Poitiers (ESIP), 40, avenue du Recteur-Pineau, 86022 Poitiers, tél. 05 49 45 37 19, esip.univ-poitiers.fr : cursus d’élève ingénieur avec une spécialité éclairage-acoustique-climatisation. - Association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE), 17, rue Hamelin, 75783 Paris Cedex 16, tél. 01 47 27 01 20, www.ace-fr.org
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Concepteur lumière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Concepteur lumière