Le patrimoine des arts forains est peu mis en valeur en France. Pourtant, le Musée des ATP conserve la plus importante collection dans le domaine en Europe. Entretien avec Zeev Gourarier, spécialiste du cirque.
Conservateur puis directeur adjoint du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), Zeev Gourarier est directeur du Musée de l’Homme, à Paris, depuis juin 2003. Spécialiste du cirque et des arts forains, auxquels il a consacré plusieurs manifestations, il continue de promouvoir ce patrimoine, comme en témoigne l’exposition « Au Cirque. Le peintre et le saltimbanque » (1), dont il est l’un des commissaires. À l’occasion du dossier que nous consacrons aux liens entre art et cirque, il dénonce l’indifférence dont font l’objet le patrimoine des loisirs en général et les arts forains en particulier.
Les arts forains font l’objet d’un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années en France. Comment cela se traduit-il sur le plan du patrimoine ?
Plutôt bien en ce qui concerne les bâtiments, malgré la destruction dans les années 1970 du cirque Médrano, lieu mythique sur le plan artistique. Cinq cirques en dur survivent encore aujourd’hui, et ils sont soit déjà réhabilités, comme le Cirque d’Hiver, à Paris, ou celui de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), soit en cours de réhabilitation, comme les cirques d’Elbeuf ou d’Amiens. En ce qui concerne les musées en revanche, la situation est catastrophique. Sortie du Musée de la poupée ou de celui du jouet, la France ne compte aucun établissement consacré aux loisirs. Il n’existe qu’un petit musée, mais privé, dévolu au cirque (lire l’encadré). Il semble que la société fonctionne à l’inverse de l’individu. En principe, un individu active ses bons souvenirs et essaye d’oublier les mauvais. Or nous avons de nombreux musées dédiés au patrimoine industriel et au monde rural, et pas grand-chose sur l’histoire des loisirs : rien à ma connaissance sur le tourisme, rien sur les arts de la table ni sur la marionnette, sans parler du cirque ou de la fête foraine, si ce n’est des bouts de collections à droite et à gauche. Ainsi au Musée national des ATP, qui dispose du plus important ensemble sur la fête foraine et le cirque en Europe, ou du château de Compiègne, qui est aussi une institution vouée aux voitures et au tourisme. Mais la salle principale de ce dernier, qui présentait des voitures racontant l’histoire du tourisme, est fermée. Grosso modo, le patrimoine des loisirs n’est pas visible en France aujourd’hui.
À quoi est due selon vous cette situation ?
Principalement au fait que les loisirs ne sont pas pris au sérieux en France. Les musées ont un retard considérable dans le domaine des sciences humaines. Alors que, dans le sillage d’Alain Corbin (auteur notamment de L’Avènement des loisirs, 1850-1960, paru chez Flammarion en 2001), on commence à s’intéresser à l’histoire des loisirs, les musées en sont encore à une histoire économique. D’importantes œuvres d’arts forains proposées sur le marché sortent du territoire national sans émouvoir personne. Il ne reste par exemple rien de l’entreprise Limonaire, qui était la plus grande fabrique d’orgues française. Pour les Américains, le patrimoine forain constitue un « self-service » : ils peuvent emporter ce qu’ils veulent sans que cela gêne personne. De même, les objets liés au cabaret et au music-hall n’intéressent pas grand monde. Le Lido, pour prendre cet exemple, casse régulièrement tous les objets de ses spectacles.
Que vont devenir les collections d’arts forains du Musée des arts et traditions populaires dans le contexte actuel de fermeture de ce musée et de création d’un nouveau Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille ?
C’est une question qu’il faudrait poser à Michel Colardelle, actuel directeur des ATP et futur directeur du Mucem. Pour ma part, je n’ai pas entendu parler d’une présentation de ces collections à court terme. Ni même à moyen terme…
Vous êtes vous-même un spécialiste des arts du cirque, auxquels vous avez consacré plusieurs expositions. Avez-vous déjà envisagé la création d’un musée qui leur serait spécialement consacré ?
Oui, bien sûr, je dirais même que, sur le plan du patrimoine, je n’ai pensé qu’à cela… Mais tout reste à faire dans ce domaine. J’ai fait deux expositions sur le sujet : « Il était une fois la fête foraine », présenté à la Grande Halle de La Villette en 1995, et « Jours de cirque », organisé au Grimaldi forum de Monaco en 2002. Chacune s’étendait sur plus de 4 000 m2, remplis pour moitié par les collections des ATP. Les Musées de France possèdent donc un patrimoine forain extraordinaire, à partir duquel on pourrait constituer un musée chargé de montrer la richesse des collections nationales et de consolider ce patrimoine. Le Cirque d’Hiver ferait par exemple un merveilleux musée des arts forains.
(1) Musée de la chartreuse de Douai, jusqu’au 18 juillet.
- Le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), 6, av. du Mahatma-Gandhi, 75116 Paris, tél. 01 44 17 60 00. Cette institution possède la plus riche collection européenne dévolue aux spectacles populaires (marionnettes, music-hall, fête foraine...). - Le Musée du cirque, place de la Liberté, 36150 Vatan (Indre), tél. 02 54 49 77 78. Créé en 1994, ce petit musée privé retrace en six salles l’histoire du cirque. Il présente principalement la collection du docteur Frère (affiches, costumes, maquettes...). - Le Musée national de la voiture et du tourisme au château de Compiègne, 60200 Compiègne, tél. 03 44 38 47 02. Inauguré en 1927, le musée illustre l’histoire de la locomotion routière, des origines de l’attelage aux débuts de l’aventure automobile. - Le Cirque d’Hiver, 110, rue Amelot, 75011 Paris, tél. 01 47 00 12 25. - Le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, 4, rue de Verdun, 76410 Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Seine-Maritime), tél. 02 32 13 10 49. En cours de rénovation, ce bâtiment est le seul à posséder à la fois une scène de théâtre à l’Italienne et une piste de cirque. - Le cirque Jules-Verne d’Amiens, place Longueville.
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Zeev Gourarier : « Les loisirs ne sont pas pris au sérieux »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Zeev Gourarier : « Les loisirs ne sont pas pris au sérieux »