Des héritières indirectes du célèbre collectionneur et marchand Ambroise Vollard ont déposé une plainte pour recel à l’encontre du Musée national de Belgrade, en Serbie. Elles espèrent obtenir la restitution d’une partie de leur succession, qui serait, selon elles, illégalement détenue par le musée depuis 1949.
PARIS - Le 18 avril 2012, le parquet de Paris a enregistré une plainte pour recel concernant 429 œuvres d’art de la collection Ambroise Vollard. Par cette plainte déposée à l’encontre du Musée national de Belgrade, trois prétendues héritières du célèbre collectionneur et marchand d’art français espèrent obtenir la restitution d’une partie de leur succession, qui serait illégalement détenue par le musée et confondue dans ses collections depuis 1949.
Lorsqu’ Ambroise Vollard décède des suites d’un accident de voiture en 1939, il n’a pas de descendance directe, mais laisse après lui deux frères et trois sœurs. Pourtant, c’est à un étranger, Erich Chlomovitch, ressortissant yougoslave et petit courtier, que furent confiées plusieurs centaines de pièces de sa prestigieuse collection. « De nombreuses œuvres d’Auguste Renoir, d’André Derain, d’Henri Matisse, d’Edgar Degas […], entre autres », indique la plainte. « Des tableaux, des lithographies, des dessins et des livres, mais aussi des lettres de condoléances, comme celle du peintre Pierre Bonnard à Lucien, l’un des frères d’Ambroise. Bref, tout ce qu’il y avait sur la table a été raflé par Chlomovitch », rectifie le biographe de Vollard, Jean-Paul Morel. Or, sur les rapports entre Chlomovitch et Vollard, ce dernier déclare n’avoir rien trouvé ou presque. Seule une lettre, dans laquelle Ambroise Vollard demande à l’écrivain André Suarès de recevoir le jeune Erich Chlomovitch. Il existe bien une autre lettre cependant, écrite par Chlomovitch et adressée à Lucien, l’un des frères Vollard, où il est fait mention de leur « accord ». Il semble donc que ce soit avec le consentement du frère que Chlomovitch ait exporté les 429 œuvres d’art à la propriété aujourd’hui disputée, abandonnant dans un coffre de la Société générale les 140 autres œuvres qu’il ne pouvait emporter avec lui. C’était en mars 1940. Les chefs-d’œuvre quittèrent Paris par valise diplomatique de la légation yougoslave. Afin de prévenir d’éventuels dommages de guerre. Mais aussi avec la promesse faite à Lucien de créer un musée d’art moderne, sous le patronage d’Ambroise Vollard.
Mais Erich Chlomovitch meurt, en déportation selon la plainte, gazé sur un parking d’après l’enquête de Victor Perry réalisée à la demande des descendants de Chlomovitch. Sa mère se serait ensuite chargée des œuvres, avant de mourir à son tour dans le train qui les transportait vers Belgrade. Sa fille les récupéra alors et les cacha dans une ferme des environs de la capitale. Et, quand les œuvres furent redécouvertes en 1948, le président Tito donna six mois aux héritiers pour se déclarer. Or ces derniers, exilés en Israël, n’en furent jamais avertis et la collection fut ainsi nationalisée « légalement ». Quant aux œuvres restées à Paris, la Société générale souhaitera les vendre, dans les années 1980, afin de se rembourser des frais de garde du coffre. Ce que fit Sotheby’s en 2010, après des années de contentieux avec les ayants droit de Vollard et de Chlomovitch.
Trésor de guerre
Les trois nouvelles requérantes, représentées par Me François Honnorat, seraient les enfants du premier lit de Louis Sébastien, neveu d’Édouard Jonas, lequel était parvenu à s’instituer exécuteur testamentaire des sœurs d’Ambroise Vollard, puis de Lucien. Après le passage de Chlomovitch dans l’atelier de Vollard, Lucien vendit tout ce qui restait à un autre courtier, Martin Fabiani, pour un moindre prix. Ce dernier tentera d’envoyer plus de 600 œuvres à New York, au profit du galeriste Étienne Bignou. Mais le bateau fut arrêté par les Anglais aux Bermudes et les œuvres déposées au musée d’Ottawa comme trésor de guerre. Ce n’est que huit ans plus tard que Fabiani réussira à récupérer les biens saisis, alors accompagné de l’antiquaire Édouard Jonas qui procédera par la suite à la vente de quelques-unes de ces toiles.
Depuis, les juges ont admis Louis Sébastien comme seul héritier d’Ambroise Vollard. Ce qui, après son décès, permet aux requérantes de fonder leur revendication. Elles invoquent d’ailleurs deux autres décisions de justice « dont les solutions présentent un intérêt pour affirmer la propriété des 429 pièces transportées à Belgrade ». Celle retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 juin 1993, selon laquelle leur « action en revendication n’est pas susceptible de prescription extinctive ». La seconde date du 17 juin 1996 et émane de la cour d’appel d’Amiens, qui considère que les œuvres détenues par Chlomovitch étaient partie de la succession Vollard. C’est au procureur de la République qu’il revient désormais de décider des suites à donner à cette affaire, après enquête ou pas.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Vollard volé
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Auguste Renoir (1841-1919) - Portrait de Ambroise Vollard (1908) - Huile sur toile - 81 x 64 cm - source Wikipedia
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Vollard volé