Organisée du 19 au 23 mars, Art Paris prend cette année une teinte encore plus contemporaine tout en conservant ses fondamentaux.
Une foire locale, de mi-saison, est-elle plus ou moins armée que des événements internationaux pour faire face à la crise ? Réponse du 19 au 23 mars sur Art Paris. Ayant son classicisme et sa modestie pour principaux atouts, ce salon a certes moins de soucis à se faire que les manifestations arrogantes et « bling-bling » Néanmoins, même si le terreau des collectionneurs français est moins volatil qu’outre-Manche, les professions libérales qui achetaient avec leurs dividendes boursiers risquent de répondre aux abonnés absents. Inquiets, effarouchés par les tarifs de la foire, les marchands ne se sont souvent décidés que tardivement. La galerie Alessandro Bagnai (Florence) a quant à elle annulé sa participation au dernier moment. « La prise de décision a été tardive, mais consciente et volontariste. Les gens se sont donnés le temps de la réflexion, ce qui donne plus de poids à leur présence, affirme Henri Jobbé-Duval, directeur artistique d’Art Paris. On essaiera de faire venir de manière plus forte un maximum d’acheteurs. On ne peut pas se permettre de laisser les choses au hasard. Art Paris va être une oasis au milieu de la tourmente, elle va dégager une chaleur réconfortante. » La méthode Coué n’a pas convaincu les Parisiens 1900-2000 et Di Meo, lesquels ont préféré passer leur tour cette année. « Art Paris nous coûte trop cher comparé à d’autres foires, même l’ARCO [la foire de Madrid], indique Marcel Fleiss, de la galerie 1900-2000. C’est peut-être un peu trop de participer à trois foires à Paris. Je préfère privilégier la FIAC. » Louis Carré & Cie (Paris) avait, pour sa part, choisi, dès l’an dernier, de ne participer à aucune foire. En perdant trois importants piliers modernes, Art Paris glisse davantage vers le contemporain avec l’arrivée notamment de Guy Bärtchi (Genève). Même des vieux de la vieille se mettent au diapason. Claude Bernard (Paris) consacre son stand au jeune peintre Ronan Barrot, tandis que Patrice Trigano (Paris) tranche avec les images puissantes et dérangeantes de Françoise Huguier. Cette inclinaison se conforte avec le recrutement de galeries abonnées jusque-là aux foires off comme Dukan-Hourdequin (Marseille) et Schirman de Beaucé (Paris), exposants de Slick, ou Olivier Robert (Paris), issu de Show Off. À cela s’agrègent d’autres jeunes enseignes comme la prometteuse galerie Taiss (Paris). Visiblement, ces nouveaux arrivants ne craignent pas ou plus de se couper d’un éventuel sésame à la FIAC. « Quand on ne peut manger à la table des grands, on mange où l’on peut », soupire un galeriste.
Les exposants de la FIAC, qui avaient testé Art Paris en y découvrant une clientèle atypique, ne lui tournent d’ailleurs pas le dos. « Si nous n’y allions pas, ce serait la marque que nous ne sommes pas confiants, observe Nathalie Obadia (Paris-Bruxelles). Art Paris sera la première foire en France après le point d’orgue de la crise. C’est l’occasion de recommencer tranquillement et de rencontrer des collectionneurs qu’on ne voit plus depuis trois mois en galerie. Il faut sortir de chez soi. » Un sentiment que partagent ses confrères parisiens Laurent Godin ou Éric Dupont. Ce dernier, qui estime nécessaire « d’aller deux fois par an au contact des collectionneurs », convoque pour sa part Yazid Oulab, Damien Cabanes et Marine Joatton.
Navigant à vue, chacun tente de s’accommoder du nouveau contexte porté sur des œuvres abordables. « On amène notamment des pièces plus petites, entre 5 000 et 20 000 euros. Ce sont des choses dont on ne s’occupe pas quand tout va bien. Mais dans ce créneau, les ventes ne se sont pas arrêtées. Il y a toujours des murs à habiller, des anniversaires à fêter. Je n’ai pas trouvé de meilleure parade pour passer l’hiver », indique Jean Frémon, codirecteur de la galerie Lelong (Paris-Zurich-New York). Celui-ci installera toutefois une sculpture monumentale de Jaume Plensa devant le Grand Palais. En présentant des pièces plutôt de grand format comme un bois spectaculaire d’Étienne Beothy ou une grande toile noire et blanche de Vasarely, Diane Lahumière (Paris) prend la crise à rebrousse-poil : « Nous pensons qu’il est inutile de se restreindre dans un marché morose et proposer tout et n’importe quoi à des prix moindres. Au contraire, il faut donner à nouveau envie aux collectionneurs ». Les plus jeunes enseignes ne jouent pas plus petit bras. « Je n’ai pas voulu faire un stand au rabais. Je préfère privilégier les grands formats plutôt qu’essayer de m’assurer des petites ventes à 2 000-3 000 euros », indique Olivier Robert en misant sur les œuvres d’Anne-Laure Sacriste, Boogie ou Baptiste Roux. Schirman-de Beaucé adopte un parti pris similaire avec une nouvelle pièce de trois mètres de large de Nicolas Buffe ou des grandes photos d’Hermine Bourgadier. Certains exposants prennent même le risque d’expositions personnelles. Thessa Herold (Paris) prévoit ainsi une exposition personnelle de François Dufrêne ; Erdész & Maklary (Budapest) renoue avec Judith Reigl ; la Galerie Guillaume valorise les dessins d’Hucleux ; tandis que Lélia Mordoch (Paris) met Julio Le Parc à l’affiche. Marotte habituelle de la foire, la Figuration narrative prend ses aises sur le stand de Sophie Scheidecker (New York), avec un Samedi soir Argentin de Rancillac (1977) ou un beau diptyque de Schlosser. Celui-ci illustre une image devenue aussi rare que « subversive » : une main tenant une cigarette dans un café ! D’ailleurs, sous ses dehors très classiques, Art Paris ne pratique-t-elle pas une subversion feutrée ? Ne fut-elle pas la première foire à déménager au Grand Palais, à s’exporter à Abou Dhabi ou à s’associer avec une figure internationale de la profession, en l’occurrence Lorenzo Rudolf ? Aussi douillette soit-elle, la foire a fait preuve d’une capacité d’anticipation, sans tambours ni trompettes.
La remise, le 18 mars, du Prix du Dessin contemporain de Daniel et Florence Guerlain (1) est l’une des cartes maîtresses dans le jeu d’Art Paris. Car cette récompense a drainé sur le salon une foule de collectionneurs parisiens peu habitués à ses travées. Pour l’heure biennal, le prix pourrait-il être annualisé ? « Nous voudrions le rendre annuel, mais nous sommes prudents. Nous ne voulons pas être obligés de faire machine arrière. Il faudrait que nous trouvions un sponsor car l’œuvre que nous achetons à chaque fois pour le musée [national d’art moderne] nous coûte au moins 20 000 euros », indique Florence Guerlain. Les trois sélectionnés de cette année, Jorge Queiroz, Frédérique Loutz et Sandra Vasquez de la Horra, manient avec bonheur l’ambiguïté. Représenté par la galerie Nathalie Obadia, Jorge Queiroz affectionne les compositions tourmentées, les imbrications d’images formant des fragments de fiction. Inutile toutefois de tenter d’en percer le récit. L’artiste portugais le dit lui-même : « Il n’y a pas de narration. Ce qu’il y a, c’est une structure. » Une structure évolutive, jouant sur le chaos et l’harmonie, la beauté et l’horreur. Dans ce dédale de traits cernés ou indistincts, la dérision tutoie l’onirisme, l’absurde se prolonge dans la métamorphose. João Fernandes écrit d’ailleurs dans le catalogue de l’exposition de l’artiste au Musée Serralves (Porto) : « Il se tient au-delà du représentable ou de l’abstraction, tout en ayant recours aux deux pour composer ses énigmes. Au-delà du jour et de la nuit, il occupe ce moment où les deux coïncident, dans la pénombre, dans le crépuscule. Il hérite de la tradition du collage et du découpage, bien qu’il n’utilise pas ces techniques, si ce n’est dans le sens métaphorique de l’association libre et continue d’idées. » Cette friction permanente entre le beau et le terrible, ce goût de l’hybridation se retrouvent aussi chez Frédérique Loutz, exposée du 17 mars au 30 avril à la galerie Claudine Papillon. Le spectateur hésite entre le sourire et l’effroi devant ses dessins aux effluves de cadavres exquis, traversés de tendres fêlures et de pessimisme joyeux, de grotesque et de finesse. Dans la préface du catalogue de son exposition à la galerie Claudine Papillon, Gilles Jourdan compare l’artiste à une « ballerine allègre dans l’étonnement et le guet ». L’intéressée confie : « le dessin est une sorte de peau, qui me protège et qui pourtant accueille les traces de tous les coups et de toutes les caresses… C’est un espace où les intelligences et les différentes compréhensions s’entremêlent pour donner un contour au volatil. » Dernière en lice, la Chilienne Sandra Vasquez de la Horra, représentée par la galerie David Nolan (New York), brouille les frontières entre le bizarre et le familier, le rêve et le cauchemar, les mythes et l’Histoire. Ce parfum historique, qu’on décèle dans les scènes de torture rappelant la dictature de Pinochet, se renforce par le papier jauni, gainé de cire, translucide comme du parchemin. Centrées et flottantes, ses figures semblent partir à la dérive. Tout comme le regard du spectateur, oscillant entre poésie et abjection.
(1) Le lauréat reçoit 15 000 euros, et les deux autres nominés 2 500 euros chacun. Une œuvre de l’artiste primé est achetée par les Guerlain pour le Cabinet d’arts graphiques du Centre Pompidou.
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Une foire qui anticipe
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ART PARIS
Directrice : Caroline Clough-Lacoste
Directeur artistique : Henri Jobbé-Duval
Nombre d’exposants : 110
Tarif des stands : 360 euros le m2
Nombre de visiteurs en 2008 : 41 000
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Une foire qui anticipe