Un repli sur les fondations ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2009 - 1056 mots

Grâce à un régime assoupli, les fondations démontrent toute leur pertinence. En temps de crise, elles sont un refuge pour les valeurs de l’entreprise.

Et si la fondation révélait d’autant plus ses avantages en tant de crise ? Encore peu développée en France – l’Admical en dénombre plus de 2 200 dont 330 fondations d’entreprise, une donnée relativement faible sur les 30 000 entreprises qui font aujourd’hui du mécénat –, la fondation a longtemps souffert d’un régime juridique suffisamment contraignant pour étouffer de nombreuses velléités. Et malgré un assouplissement des procédures, il règne encore un certain brouillage dans ce maelström d’institutions philanthropiques, du fait de l’existence d’une pluralité de statuts. En France, plusieurs types de fondation continuent en effet à exister. Les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), peu nombreuses, demeurent très compliquées à monter car elles requièrent une autorisation de l’État. Les fondations sous égide bénéficient quant à elles d’une structure plus légère car elles sont abritées par une FRUP, soit, dans le domaine culturel, principalement la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et l’Institut de France. Récemment créé, le fonds de dotation, inspiré de l’endowment américain, permet d’affecter des fonds pour assurer le développement d’une institution. Viennent enfin les fondations d’entreprise, qui connaissent un succès grandissant. Autant dire que ce paysage demeure très hétérogène.

Vers un statut européen
Dans ce contexte, le Centre français des fondations (CFF) milite activement pour la création d’un statut de fondation européenne qui permettrait de mettre en commun les fonds provenant des pays de l’Union. La Commission européenne a ainsi lancé une consultation publique afin de réfléchir à la mise sur pied d’une forme juridique unique qui remplacerait les vingt-sept statuts nationaux existants. Facilitant ainsi l’action des fondations engagées de manière transfrontalière. « La tâche est compliquée, précise Marianne Eshet, déléguée générale de l’Admical. Car, au-delà des aspects strictement fiscaux et juridiques, la définition même de l’action d’intérêt général est différente d’un pays à l’autre. à terme, il faudra plus généralement arriver à un statut européen du mécénat. »
Depuis 2003, le monde des fondations a pourtant sensiblement évolué, notamment dans le domaine des fondations d’entreprise, dont le nombre, ces trois dernières années, a été multiplié par deux. Aujourd’hui, ce dispositif semble démontrer toute sa pertinence. « La fondation d’entreprise représente la solution idéale sur tous les plans, la forme la plus aboutie du mécénat. Elle met en avant l’engagement de l’entreprise et permet de traverser la crise sans voir diminuer les budgets alloués au mécénat », note Marianne Eshet. En cette période de crise économique, nombre d’entreprises ont ainsi décidé de se recentrer sur l’action de leur fondation, gage d’identité de leur engagement, au détriment d’actions plus ponctuelles mais moins lisibles dans le cadre d’une stratégie de mécénat. Après LVMH et sa fondation Louis-Vuitton, le groupe de luxe Hermès a ainsi créé sa propre fondation en avril 2008. « Nous avons voulu, par ce biais, aller plus loin dans notre politique de mécénat, explique Catherine Tsekenis, sa directrice. La fondation vise aussi à donner davantage de lisibilité à nos projets. » Car l’entreprise est loin d’être une nouvelle venue dans le secteur. Mais pour Hermès, il s’agissait plutôt d’établir une mise en réseau entre les actions déjà engagées et les différents lieux de diffusion déjà animés par le groupe (La Verrière à Bruxelles, Le Forum à Tokyo, L’Atelier à Séoul, Le Third Floor à Singapour, le TH13 à Berne)... Pas question, donc, de s’appuyer sur la construction d’un bâtiment emblématique, contrairement au projet de Fondation Louis-Vuitton, « car nous ne sommes pas dans une logique de collection », précise sa directrice. Les axes de mécénat perpétuent par ailleurs les engagements historiques de la société en faveur des métiers d’art, de l’accès à l’éducation et de la création. « La question de l’entreprise citoyenne est très importante, poursuit Catherine Tsekenis. Il s’agit aussi d’une demande de nos salariés. »
En ces temps d’agitation sociale au sein des entreprises, la fondation peut ainsi servir de refuge pour les valeurs de l’entreprise. Une sorte de vitrine destinée à assurer la cohésion interne. Contrairement à des soutiens financiers souvent disparates – dont souvent seule une partie restreinte des membres des personnels peut bénéficier de contreparties –, la fondation permet ainsi d’identifier clairement les engagements de l’entreprise. En septembre 2008, le PDG du groupe Total, Thierry Desmarest, a ainsi annoncé lui-même la réorganisation de la totalité des actions de mécénat du groupe au sein d’une fondation : c’est elle qui désormais initiera la politique philanthropique de Total dans les secteurs de l’environnement, de la culture et de la solidarité.
 
Budgets sanctuarisés
Le recours à une fondation – qui peut aussi recevoir des dons de ses salariés – est par ailleurs un gage de sécurité juridique pour les entreprises, les services fiscaux voyant parfois d’un mauvais œil l’apparition de lignes consacrées au mécénat dans les dépenses de communication. La fondation clarifie ainsi les choses. Autre avantage non négligeable : la relative sanctuarisation des budgets des fondations d’entreprise. Créée au minimum pour cinq ans, son budget est en général ventilé dans le cadre d’actions plurianuelles, avec un plancher établi à 150 000 euros. La crise préservera donc davantage ce secteur.
L’année 2008 et le premier semestre 2009 n’ont toutefois pas été marqués par l’euphorie en matière de création de fondations dans le secteur culturel. En juin 2008, l’ancien président de la République, Jacques Chirac, obtenait néanmoins une faveur : celle de voir reconnue d’utilité publique sa Fondation pour le développement durable et le dialogue des cultures, un statut d’ordinaire difficile à obtenir puisque sa création doit être décidée en Conseil d’État. Quelques fondations sous égide ont également vu le jour. Ainsi de la Fondation de la demeure historique pour l’avenir du patrimoine. Placée sous la responsabilité de la Fondation de France, elle permettra de collecter des fonds pour encourager la sauvegarde, la mise en valeur et la conservation du patrimoine protégé – un secteur impécunieux –, avec une priorité donnée à des actions en faveur de l’accessibilité des monuments historiques. Début 2009, l’entreprise Berger-Levrault créait également une fondation sous égide. Son objectif, assez singulier, vise à favoriser l’accès à la connaissance et aux métiers de la fonction publique. Elle prévoit  notamment de décerner des bourses pour la participation à l’organisation d’une exposition autour du patrimoine public. Preuve qu’en matière de fondations, les possibilités demeurent innombrables.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : Un repli sur les fondations ?

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