Face à une scène artistique aux frontières et questionnements élargis, Francesco Bonami a délégué à différents commissaires d’exposition une partie des manifestations de la 50e édition de la Biennale. Plus que jamais, Venise s’affirme comme une plate-forme de rencontres qui, tout en prolongeant certaines problématiques introduites par la Documenta 11 de Cassel, multiplie les points de vue sur un paysage en mouvement.
“Une exposition des expositions”. La formule de Francesco Bonami pour qualifier la Biennale de Venise, dont la direction artistique lui est cette année confiée, rompt avec la pratique qui avait prévalu au bord de la lagune depuis 1999. Les deux éditions précédentes réalisées par Harald Szeemann semblent en effet avoir épuisé le modèle d’un œil unique et tout-puissant qui exercerait son point de vue sur le monde entier. Plus sage, la position adoptée par Francesco Bonami est semblable à celle d’un directeur d’institution qui compose sa programmation annuelle en invitant des commissaires, tout en posant lui-même les bases de sa politique. Ainsi, parmi les trois expositions signées par le directeur artistique, “Retards et révolutions” (pavillon italien) et “Clandestins” (Corderie) offrent un panorama de l’actualité et quelques rappels, en refusant toutes thématiques rigides pour favoriser les développements propres aux œuvres des artistes ici réunis. Ils seront une cinquantaine dans la première, des “classiques” (Warhol, Dan Graham, Carol Rama) ou des pointures de la génération suivante (Matthew Barney, Tobias Rehberger, Glenn Brown), et une trentaine dans la seconde, plus cutting-edge (Etti Abergel, Hannah Greely, Aïda Ruilova, Bojan Sarcevic ou encore Tatiana Trouvé). Les deux volets sont complétés par “Interludes”, une série de projets et d’interventions urbaines réalisées par une douzaine d’artistes (Jeppe Hein, Gabriel Kuri, Alexandre Périgot, Paola Pivi...). Mais Francesco Bonami profite aussi du contexte plus classique du Musée Correr pour un accrochage bien cadré, puisque exclusivement consacré à la peinture. “Peinture, de Rauschenberg à Murakami (1964-2003)” suit en cela un mouvement général qui, de “Urgent Painting” (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 2002) à “Painting and media in the digital age” (actuellement au Kunstmuseum de Wolfsburg) en passant par “Cher peintre...” (Centre Pompidou, 2002), a remis l’odeur de la térébenthine au goût du jour.
À côté des sélections opérées par Francesco Bonami, les invitations formulées à l’adresse d’autres critiques sont révélatrices d’une scène artistique dont l’amplitude, tout comme les enjeux, ne peuvent être abordés et traduits dans une langue unique. Intitulée “Systèmes individuels”, la proposition d’Igor Zabel est emblématique de cette situation. Le directeur de la galerie d’art moderne de Ljubljana (Slovénie) oppose à l’idée de systèmes ordonnés celui de trajectoires individuelles, avec les travaux de Roman Opalka, des collectifs Irwin et Art & Language, de Yuri Leiderman ou encore de Nahum Tevet.
Tout en ménageant des expériences inédites, comme la carte blanche donnée à Gabriel Orozco – “Le quotidien altéré”, une exposition sans murs, sans socles, sans vitrines, sans vidéos ni photographies, mais avec Abraham Cruzvillegas, Jimmie Durham, Daniel Guzman, Damian Ortega, Fernando Ortega et Jean-Luc Moulène –, la Biennale de Venise poursuit les options d’ouvertures géographiques et méthodologiques de la Documenta 11. Avec “Lignes de faille” et en collaboration avec le Forum for African Arts, Gilane Tawardos (directrice de l’Institute of International Visual Arts de Londres) place ainsi l’Afrique au centre des dynamiques mondiales. Les œuvres de Frank Bowling, les projets de l’architecte Hassan Fathy ou les photographies de Kader Attia traitent davantage de flux culturels et migratoires que d’une quelconque identité africaine. Attaché au même continent, “Représentations arabes contemporaines”, le programme nomade initié par Catherine David à partir du Witte de With de Rotterdam, marque à Venise une nouvelle étape avec des propositions visuelles qui dépassent les images convenues du territoire libanais, toujours marqué par le conflit. Autre épicentre, l’Asie, ici envisagée sous l’angle de ses mutations urbaines et de sa marche accélérée vers une modernité encore indéfinie. Dans la “Zone d’urgence” conçue par Hou Hanru, les architectes seront donc présents (Atelier FCJZ, Atelier Bow-Wow), mais aux côtés d’artistes (une trentaine, majoritairement d’origine asiatique, parmi lesquels le projet collectif chinois de “Canton Express”) dont le travail répond à des situations de danger ou d’inconfort. Développée par Carlos Basualdo (l’un des commissaires de la dernière Documenta), “La structure de la survie” s’inscrit dans une problématique comparable. Articulant des thèses autour de la “favelisation” de la ville, l’exposition réunit une vingtaine d’artistes originaires de tous les continents, tout en réservant une large place à l’Amérique latine (Alexandre da Cunha, Fernanda Gomes, José Antonio Hernández-Diez, Marepe, Cildo Meireles). Enfin, conçue par Rirkrit Tiravanija et Liam Gillick, la “Station Utopie” animée par l’historienne Molly Nesbit et le critique Hans Ulrich Obrist sera, elle, pendant tout l’été, la plaque tournante de la manifestation, brassant débats, performances, rencontres, présentations d’œuvres, tout en se diffusant dans la ville sous la forme éclatée d’affiches commandées à 160 artistes. Le monde entier à Venise ?
15 juin-2 novembre, Giardini di Castello – Arsenal – Musée Correr – gare Santa Lucia, Venise, réservations : 39 41 5221317, tlj 10h-18h, sauf lundi pour les Giardini et mardi pour l’Arsenal, www.labiennale.org
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Un archipel d’expositions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Un archipel d’expositions