Bâtiments inutiles, concepts coûteux et superflus, internationalisation ratée, rapports qui ne dépassent jamais le stade de leur publication, la vie culturelle et marchande française comporte son lot d’échecs.
La Force de l’art s’étiole
Y a-t-il une malédiction sur les expositions d’art contemporain organisées à Paris par l’État ? En 1959, André Malraux lance la Biennale de Paris qui s’arrête en 1985. En 1972, à l’initiative de Georges Pompidou, est organisée au Grand Palais « Douze ans d’art contemporain en France », entrée depuis dans la mythologie des manifestations chahutées. En 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin, un autre amateur d’art contemporain, annonce lors de sa visite à la Foire internationale d’art contemporain, le lancement d’une nouvelle triennale, dénommée « La Force de l’art ». La première édition se tient sept mois plus tard – un exploit ! – au Grand Palais qui accueille également la deuxième édition en 2009. La troisième édition sera la dernière ; renommée la Triennale de l’art, elle est organisée au Palais de Tokyo et dans divers lieux du Grand Paris. À chaque fois, d’André Malraux à Villepin, le label officiel suscite les sarcasmes du petit monde de l’art contemporain. Moyennant quoi, Paris n’a pas de manifestation mettant en valeur la scène française qui en aurait pourtant bien besoin.
La fausse bonne idée des réserves visitables
En 1977, le Centre Pompidou étudiait le principe de réserves visitables, avant d’abandonner le projet en raison de contraintes techniques jugées trop importantes. Au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, un glissement s’est opéré : à l’origine, la tour de verre abritant les collections d’instruments de musique devait être « visitable » ; actuellement, les réserves y sont simplement « visibles ». Réserve visible d’un seul point de vue ou portion isolée et aménagée pour recevoir du public, ouverte sur rendez-vous ou lors de journées portes ouvertes, les options sont multiples, pour un lieu obéissant nécessairement à des normes de conservation et de sécurité très strictes qui en réduisent l’intérêt pour le public. Dans les réserves délocalisées du Mucem à Marseille, une simple salle « témoin » a été aménagée pour le grand public, tandis qu’au Louvre-Lens, une large baie vitrée s’ouvre sur les réserves du musée : autant de « réserves visitables » qui n’en sont pas vraiment.
L’échec de la FIAC et de Paris Photo à Los Angeles
Le propriétaire de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) et de Paris Photo peine à s’implanter à l’international. Reed exhibitions, n’a pas réussi là où le groupe suisse MCH, organisateur d’Art Basel, s’exporte à Miami et à Hongkong quand Frieze London prend pied à New York tout comme Tefaf de Maastricht. Après trois éditions de Paris Photo Los Angeles, Reed décide d’arrêter l’édition californienne en février 2016 à trois mois de son ouverture et annule dans la foulée la première édition de la Fiac LA. Celle-ci avait pourtant été annoncée avec enthousiasme, « nous avons constaté que la scène artistique de la côte ouest était aujourd’hui [2014] redevenue extrêmement dynamique », expliquait le directeur général de l’époque. Pas assez manifestement pour justifier une antenne en Californie. Déjà en 2006, Reed avait acquis Photo London pour revendre la foire à peine un an plus tard.
« L’entreprise à l’œuvre » ne répond plus
En avril 2014, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, lançait en grande pompe le programme « Art & entreprise, pour conjuguer culture et monde du travail », dont l’une des composantes s’intitulait : « L’entreprise à l’œuvre ». Cette dernière consistait à proposer aux salariés, sur leur lieu de travail, pendant une semaine, une « rencontre » avec des œuvres issues des collections publiques. Cinq « couples » associant une entreprise avec un musée étaient ainsi constitués, tels des tableaux de Fernand Léger par le musée de Biot dans les usines Renault de Flins ou des œuvres de la Renaissance provenant d’Écouen dans les ports autonomes de Rouen et du Havre. Un site internet lui a même été consacré et un compte Facebook mis en place. Depuis… plus rien ! Le site reste désespérément bloqué sur l’année 2014 et , le compte Facebook est désactivé. C’est là l’une des nombreuses initiatives du ministère restée sans lendemain.
Des rapports sur le marché de l’art sans suite
« Notre marché de l’art, jadis glorieux, voire le premier du monde, s’est depuis un demi-siècle affaissé, et Paris a fortement reculé par rapport à Londres, sans même parler de New York », se lamentait le sénateur Yann Gaillard dans un rapport parlementaire datant de 1999 inaugurant une longue liste de bilans en tous genres, qui n’ont pas beaucoup amélioré la situation. Il y a eu ensuite le rapport d’Alain Quemin (2001) qui a attiré l’attention sur la faible place des artistes français sur la scène internationale, puis en 2008 – une année faste à cet égard –, pas moins de deux missions : les « trente-trois propositions » du rapport Jobbé-Duval et les trente-sept recommandations du rapport Bethenod. En 2011, le Sénat, décidément très intéressé par la question, a produit un nouveau rapport sous la direction de Jean-Pierre Plancade, tandis que ne voulant pas être en reste, l’Assemblée nationale a demandé au député Michel Herbillon en 2016 de plancher également sur le sujet. Le prochain rapport devrait plutôt s’interroger sur l’inefficacité des rapports.
L’agonie du Louvre des Antiquaires
Situé au cœur de Paris, à proximité du Musée du Louvre, le Louvre des antiquaires (LDA) agonise depuis une dizaine d’années. Créé en 1978 à l’initiative de la caisse de retraite des employés des postes britanniques dans un imposant immeuble lui appartenant, le LDA bénéficiait alors d’un grand prestige : les 250 emplacements dévolus aux arts et aux antiquités étaient pris d’assaut par les antiquaires. Mais par la suite le lieu a périclité inexorablement : les marchands ne sont plus qu’une soixantaine en 2010 et aujourd’hui, il n’en reste plus que trois. La raison de cette hémorragie ? Un modèle obsolète et les difficultés des arts décoratifs anciens. Mais surtout, il y a onze ans, la caisse de retraite a été rachetée par la Société foncière lyonnaise, qui a d’autres visées pour ce lieu. En 2015, elle annonçait que d’ici 2020, il serait transformé en centre commercial accueillant des boutiques de luxe. Mais pour l’instant, le projet est bloqué car les antiquaires encore sur place bénéficiant d’un bail ou d’un droit au maintien dans les lieux jusqu’en 2019 font monter les enchères pour partir.
Le naufrage de la Pinacothèque de Paris
Son fondateur se présentait volontiers comme un franc-tireur du monde de l’art, n’hésitant pas à qualifier les musées de « cimetières ». Dans un premier temps, la stratégie de Marc Restellini a été payante : la Pinacothèque de Paris a enchaîné les succès grâce à une politique d’expositions grand public et une communication tapageuse. Mais la réussite aura été de courte durée. Ouvert en 2007, le musée privé de la place de la Madeleine a fermé ses portes neuf ans plus tard. Une programmation très inégale, parfois même inepte sur le plan scientifique, conjuguée à des tarifs prohibitifs et une certaine folie des grandeurs auront eu raison du lieu. L’ouverture en 2011 d’une soi-disant collection permanente, composée en réalité de prêts de collectionneurs privés sans propos cohérent, achève de brouiller l’image. Ne pouvant plus payer ses fournisseurs à cause de la chute de sa fréquentation, la Pinacothèque fait naufrage en février 2016.
Les bides du Grand Palais
En près de cinquante ans, la Réunion des musées nationaux-Grand Palais n’a pas organisé que des expositions à succès, comme la rétrospective « Claude Monet 1840-1926 » de 2010 qui, avec 913 000 visiteurs, détient le record. La moins visitée fut « Joseph Wright of Derby » en 1990 : 25 000 personnes (quand la moyenne est dix fois supérieure). En 1973, le symboliste Lévy-Dhurmer faisait à peine mieux que le peintre anglais des expériences scientifiques, rejoint en 2014 dans le trio des plus grands flops, par « Haïti, deux siècles de création artistique ». Les noms peu connus du grand public ne font pas recette, comme en témoignent les 35 000 visiteurs pour Candido Portinari en 2014, ou les 38 000 de Zoran Music en 1995. Plus étrange, « Valentin et les caravagesques français » n’a accueilli en 1974 que 31 000 visiteurs quand l’exposition du Louvre de l’an dernier a attiré 205 000 visiteurs. Souhaitons le même destin dans un demi-siècle aux peintres de la Figuration narrative qui n’avaient séduit en 2008 que 58 000 visiteurs. Un Autre bide.
À Marseille, « l’agrafeuse » est vide
Le bâtiment en porte-à-faux, que les Marseillais appellent « l’agrafeuse », érigé juste devant le Mucem, agite le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis plus de six ans. Caprice architectural inauguré en 2013 et né de la volonté de l’ancien président du Conseil régional Michel Vauzelle (PS), la Villa Méditerranée, œuvre de l’architecte Stefano Boeri aura coûté la bagatelle de 62 millions d’euros à la Région, bien au-delà des 20 millions initialement budgétés. Mais surtout, le bâtiment, pourvu d’un large amphithéâtre, n’a pas trouvé de fonction. La Région paye en outre des frais de fonctionnement de plusieurs millions d’euros par an pour entretenir un bâtiment très complexe. En 2015, le nouveau président de Région Christian Estrosi (LR) cherche à le vendre, sans succès. Finalement, l’édifice va abriter une réplique de la Grotte Cosquer après une transformation estimée à 20 millions d’euros. Mais la désignation d’un opérateur privé pour gérer les travaux et le lieu a déjà pris du retard.
Paris rate son rendez-vous avec les antiquaires
Le paradoxe serait amusant s’il n’était dommageable à la place parisienne. La France est encore l’un des rares pays au monde à conserver en grande quantité dans les greniers et les salons des particuliers, des objets d’art, des meubles des tableaux anciens. Elle a vu naître les impressionnistes, a été le terreau de l’art moderne, a érigé les arts premiers en art, a renouvelé les arts décoratifs avec le design Art déco… bref la France est une terre d’élection pour les antiquaires. Et pourtant, elle a laissé à d’autres pays le soin de vendre tous ses trésors, plus exactement, elle n’est plus la capitale des antiquaires. Elle le fut dans les années 1970 à 1990 avec la Biennale des antiquaires. Mais ce rendez-vous international n’a pas su s’adapter, se sentant sans doute insubmersible. Son hégémonie a été progressivement grignotée par une multitude de salons qui sont venus la concurrencer sur ses flancs : le dessin, les arts premiers, le design du XXe, sans compter les innombrables salons généralistes qui se sont montés au fil du temps et qui n’ont tenu que quelques éditions. Résultat, Maastricht est devenue avec The European Fine Art Fair la capitale des antiquaires, suivie de la Brussels Art Fair, toutes deux à quelques heures en train de Paris, alors que Londres renouvelle le concept avec Frieze Master.
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TOP 10 des plus grands flops
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : TOP 10 des plus grands flops