Belgique - Musée

HÉRITAGE CULTUREL

Tensions à l’AfricaMuseum en Belgique

Par Gilles Bechet, correspondant en Belgique · Le Journal des Arts

Le 3 février 2025 - 820 mots

TERVUREN / BELGIQUE

La responsable de la programmation de l’ancien Musée royal de l’Afrique centrale ne cesse de critiquer son employeur dans la presse. Bart Ouvry, le directeur lui répond.

Le bâtiment principal de l'AfricaMuseum est érigé entre 1905 et 1908 sur les plans de Charles Girault, inspiré par le Petit Palais à Paris. © KMMA Tervuren
Le bâtiment principal de l'AfricaMuseum est érigé entre 1905 et 1908 sur les plans de Charles Girault, inspiré par le Petit Palais à Paris.
© KMMA Tervuren

Tervuren (Belgique). Léopold II le voyait comme un symbole de la puissance coloniale belge, comme une vitrine d’un ailleurs dompté et de richesses à exploiter. Après cinq années de rénovation, le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren est devenu, en 2018, l’AfricaMuseum avec pour ambition d’adopter une distance critique avec l’idéologie coloniale et d’exposer une vision contemporaine et décolonisée de l’Afrique. Historien et ancien diplomate, Bart Ouvry a été nommé à la direction générale du musée en 2023 et s’est donné pour mission de poursuivre la transformation du musée.

Nadia Nsayi, responsable de la programmation culturelle de l'AfricaMuseum. © Broerdelijk Delen
Nadia Nsayi, responsable de la programmation culturelle de l'AfricaMuseum.
© Broerdelijk Delen

Mais des voix s’élèvent pour juger le changement de l’institution trop timide et pas assez radical, à l’instar de Nadia Nsayi, politologue, autrice de Fille de la décolonisation et de Congolina et responsable de la programmation culturelle du musée depuis 2021. Dans plusieurs interviews et cartes blanches parues dans la presse flamande, puis francophone, elle expose ses griefs et annonce qu’elle envisage de quitter l’AfricaMuseum. Elle estime que si le musée a bien été rénové, il n’a pas été décolonisé. « Le musée donne l’impression de s’être décolonisé, mais j’y vois toujours du paternalisme avec les partenaires africains. » Elle relève ensuite la présence trop faible aux postes de responsabilité d’experts d’origine africaine ou de la diaspora congolaise en Belgique.

Bart Ouvry, directeur de l'AfricaMuseum. © AfricaMuseum
Bart Ouvry, directeur de l'AfricaMuseum.
© AfricaMuseum

De son côté, Bart Ouvry tient à faire remarquer qu’il travaille à une plus équitable représentation des personnes d’origine africaine dans les organes de gestion. « Dans le nouveau conseil de direction, précise-t-il, il y a deux personnes qui ont des antécédents afro-descendants et au conseil scientifique aussi, trois des huit experts ont un “background diaspora”. » Il reconnaît toutefois qu’un effort reste à faire dans le recrutement. « Mais dans la sélection du personnel, il n’y a pas de quota, la réglementation fédérale ne le permet pas. » Prenant pour exemple le Wereldmuseum à Rotterdam, la politologue encourage la nomination d’un co-directeur noir. « À titre personnel, j’y suis favorable, mais encore une fois ça doit être décidé au niveau politique », indique Bart Ouvry.

Le timing de cette éruption contestataire n’est sans doute pas innocent alors que, selon des rumeurs persistantes, le sort des institutions fédérales serait sur la table des négociateurs gouvernementaux.

D’autre part, Nadia Nsayi regrette la dénomination d’AfricaMuseum alors que la plus large partie de la collection provient du Congo. Poussant plus loin la réflexion, elle propose de le rebaptiser pour en faire un Musée du colonialisme en Afrique (Congo, Rwanda, Burundi). « Tervuren peut devenir un lieu unique où les visiteurs individuels comme les groupes scolaires peuvent découvrir la réalité du passé colonial belge et l’impact qu’il a encore aujourd’hui sur notre imaginaire, ainsi que sur la migration, le racisme, le climat, la biodiversité et les liens commerciaux. »

Bart Ouvry rappelle que l’AfricaMuseum ne se limite pas à ses collections et que le musée présente la particularité de cumuler trois fonctions : la gestion de la collection, le musée et l’institution scientifique. « C’est pour moi une richesse d’avoir ces trois activités et c’est la première fois qu’on essaie de les rassembler. »

S’il comprend les critiques adressées, il souligne que la transformation du musée prend du temps, surtout dans un contexte de restrictions budgétaires. « C’est un fait que dans la salle d’histoire coloniale, on ne retrouve presque pas le point de vue des Congolais. Ce n’est pas nécessairement facile, mais je crois qu’on peut mieux faire. De plus, cette salle ne parle pas du tout, ou très peu, du facteur économique – quelles étaient les motivations des colonisateurs et quel était le système d’exploitation économique qui était quand même important. J’ajouterais enfin que la colonisation et ses effets ne se sont pas arrêtés en 1960. Pour certaines des exploitations économiques, il y a une continuité jusqu’à aujourd’hui. On le relève aussi, mais de manière trop discrète, je crois. »

Les tensions et parfois l’incompréhension qui se marquent autour de l’AfricaMuseum sont le reflet de celles qui sont présentes dans la société, et forcément au sein des différentes diasporas africaines, à propos du discours porté encore aujourd’hui sur la colonisation. Dans ses multiples prises de position, Nadia Nsayi est soutenue par Mireille-Tsheusi Robert et l’association Fémïya qui organise des visites féministes et décoloniales du musée. Elle vient d’entamer un nouveau cycle qui se propose de mettre en discussion dix défis pour un musée réellement décolonial. « Il faut que le musée fasse appel à la réflexion plutôt qu’à la sensation et à l’émotion. » Au cours de ses visites, elle a pu remarquer une certaine confusion chez une partie des adolescents qui ont tendance à assimiler l’Afrique d’antan à l’Afrique contemporaine et se sentent renforcés dans leurs stéréotypes.

Pour sa part, Bart Ouvry est convaincu qu’il faudra plus qu’un cartel pour déconstruire le langage colonial et que cela passe par des médiateurs. Le chantier est ouvert et il sera long.

AfricaMuseum,
Leuvensesteenweg 13, Tervuren, Belgique.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : Tensions à l’AfricaMuseum

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