Economie - Emploi

EMPLOI CULTUREL

Tensions dans le recrutement dans le secteur culturel

Chloé Roussel - Responsable du cabinet de recrutement de ProfilCulture : « Il y a de fortes tensions de recrutement dans la tranche cinq-quinze ans d’expérience »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2022 - 1296 mots

PARIS

Grâce à sa position de leader dans le recrutement des professionnels de la culture, ProfilCulture dispose d’un observatoire privilégié pour analyser les tendances actuelles dans ce secteur.

Chloé Roussel. © Profilculture
Chloé Roussel.
© Profilculture
Comment a évolué le marché de l’emploi culturel après la crise sanitaire ?

Vu à travers le prisme de notre cabinet de recrutement, il y a beaucoup plus d’offres d’emploi qu’avant le confinement. Nous avons ainsi publié sur ProfilCulture 7 319 annonces de mars 2021 à février 2022 : c’est plus qu’un doublement par rapport à la même période (mars 2020 à février 2021). Cette progression est à peu près la même pour tous les secteurs, les offres dans le patrimoine et la politique culturelle ont ainsi augmenté de 113 %, de 103 % dans le spectacle vivant et même de 147 % dans l’édition, la presse et la communication.

Comment s’explique cette progression ?

Il y a d’abord un effet rattrapage post-Covid, mais aussi une accélération des tendances pré-Covid. L’emploi culturel se porte bien. Selon les chiffres du ministère de la Culture, il y avait 703 000 emplois dans le secteur culturel en 2018 (dernier chiffre connu), avec des hausses de 2 % à 5 % entre 2016 et 2018. Pendant le confinement de 2020, il y a nécessairement eu nettement moins d’offres d’emploi tandis que la fréquentation du site par les candidats ou ceux qui font de la veille avait également chuté. Mais il y a toujours eu des offres pendant la crise sanitaire et l’ensemble a repris assez vite, dépassant même la situation pré-Covid.

Le marché de l’emploi culturel est-il fluide ?

Non justement, en tout cas ce n’est pas ce que nous observons en ce moment. Au vu de notre activité et des échanges nombreux que nous avons, les structures culturelles, y compris les grandes structures parisiennes, ont de plus en plus de mal à trouver des candidats correspondant à leurs critères de recrutement. Cette tension est particulièrement manifeste pour les postes nécessitant cinq à quinze ans d’expérience professionnelle, nettement moins pour les débutants et les seniors. Elle concerne tous les secteurs et fonctions, tant les fonctions « support » (administration, communication, comptabilité…) que les fonctions « métier » (conservateur, régisseur…)

Comment cela s’explique-t-il ?

D’abord le contexte général sanitaire et social empêche sans doute les gens de se projeter dans le futur avec la clarté d’esprit qu’ils souhaiteraient, ce qui n’encourage pas la mobilité. Ensuite les candidats dans cette tranche d’expérience sont à un moment de leur vie où il est souvent plus difficile de concrétiser une mobilité, principalement pour raisons familiales. Ils ne prennent pas de risque. On a beaucoup entendu parler pendant le Covid d’une aspiration des gens à aller en province, à la campagne : nous ne le constatons pas du tout à notre endroit. Or il y a presque autant (46 %) de postes en régions qu’à Paris – nous recherchons par exemple actuellement un ou une responsable mécénat en province –, mais nous avons dû beaucoup chercher et être patients pour convaincre ceux qui les occupent de déménager.

Comment évoluent les modes de recrutement ?

Pendant très longtemps, le recrutement se faisait exclusivement à travers le réseau personnel des employeurs, puis, avec la professionnalisation du secteur, notamment dans les RH (ressources humaines), les recruteurs ont eu de plus en plus recours à des annonces. Aujourd’hui, sur certains postes, compte tenu de la tension dont je parlais, il est quasi obligatoire de procéder par approche directe, les annonces ne suffisent souvent plus.

L’approche directe est aussi devenu nécessaire en raison de la précision grandissante des fiches de poste en lien avec le projet. Avant, celles-ci n’étaient pas aussi fines (je caricature pour me faire comprendre), de sorte que l’on embauchait des profils en laissant largement dominer la dimension affective, charge au nouvel embauché de « faire sa place » dans le projet, dans l’organisation. Aujourd’hui les organisations induisent les missions et donc les compétences attendues sont plus précises et le nombre de candidats potentiels forcément plus restreint aux yeux des recruteurs.

Pourtant le secteur culturel se distingue des autres par des structures plus petites…

C’est vrai, mais cela induit une autre difficulté de recrutement. Les petites structures ont besoin de collaborateurs plus polyvalents tout en étant compétents dans chacune de leurs missions, ce qui nécessite de les accompagner davantage à leur entrée dans la structure.
 

La petite taille des structures culturelles est-elle de manière générale un frein au recrutement ?

Pas forcément, et tout dépend du parcours de chacun. Je vois beaucoup de candidats qui, à un moment ou à un autre, acceptent d’aller dans des structures plus modestes parce que celles-ci vont leur permettre de monter en responsabilités. Ceci dit, l’enjeu principal du secteur culturel est la sous-rémunération, de l’ordre de 40 % par rapport au secteur privé au sens large à métier équivalent. On arrive à compenser cet écart dans les fonctions culturelles où le projet et le sens comptent beaucoup, mais pour les fonctions « support » (par exemple dans les ressources humaines) qui peuvent travailler dans tous les secteurs, cela reste un handicap. Ajoutons à cela des horaires élastiques. Or il me semble que les gens sont aujourd’hui plus attentifs à respecter un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il existe aussi une sorte de mouvement de balancier avec la recherche d’un « sens » dans leur travail, ce que leur apporte le secteur culturel.

Y a-t-il aussi un « choc générationnel » dans l’emploi culturel ?

Le secteur culturel n’échappe pas, bien au contraire, aux tendances lourdes de la société. La nouvelle génération est bien formée avec des attentes importantes en matière de responsabilité, d’autonomie. Elle prend largement ses distances avec le management paternaliste qui a pu marquer de nombreuses structures. Elle est par ailleurs davantage sensibilisée aux préoccupations écologiques, de diversité, de respect du cadre légal. Pour autant toutes les générations sont aujourd’hui confrontées à une exigence de flexibilité, d’évolution des compétences, ce qui modifie leur trajectoire professionnelle. On ne reste plus aussi aisément vingt ans dans une entreprise, fût-elle culturelle.

Les filières de formation sont-elles adaptées aux emplois culturels ?

Globalement oui, les formations sont riches, même s’il y a des inadéquations sur certains métiers pointus, en particulier sur ceux relevant des métiers d’art. Nous travaillons parfois en lien avec des ateliers décors, et il est très difficile par exemple de trouver un chef tapissier ou un chef d’atelier peinture.

Comment la profession de recruteur se structure-t-elle ?

ProfilCulture est quasiment le seul cabinet de recrutement spécialisé dans la culture, en tout cas il est le premier ! Les autres cabinets sont majoritairement soit des cabinets généralistes avec un service culture, soit des cabinets spécialisés dans le recrutement à destination des collectivités locales. Notre force, c’est de disposer d’une « CVthèque » de 100 000 personnes, lesquelles ont accepté de nous laisser leurs coordonnées afin que nous puissions les appeler si un poste correspond à leurs compétences. Et nos consultants connaissent bien leur secteur, on sait à quelle porte il faut aller toquer si on n’a pas le CV de la personne dans notre base. Nous savons aussi aller chercher des candidats pour des fonctions « support » dans d’autres secteurs que la culture.

Yves Paumelle. © Profilculture
Yves Paumelle.
© Profilculture

Profilculture, une « vieille » start-up  

ProfilCulture a été créée en 2004 par Yves Paumelle et devient très vite le premier site d’emplois dans la culture et les médias. Le site diffuse en moyenne 2 700 annonces par mois et reçoit 550 000 visites. L’entreprise s’engage par la suite dans une diversification de ses activités avec le développement d’un cabinet de recrutement spécialisé, d’un cabinet d’ingénierie culturelle et de conseil en organisation, et d’un cabinet d’accompagnement professionnel. En 2019, ProfilCulture ouvre sa première implantation à l’étranger, en Italie. Yves Paumelle a lui-même commencé sa carrière professionnelle dans les médias (au magazine Les Inrockuptibles) avant de bifurquer un temps dans la finance. Il partage sa passion pour l’art avec son épouse, artiste professionnelle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Chloé Roussel, responsable du cabinet de recrutement de ProfilCulture : « Il y a de fortes tensions de recrutement dans la tranche cinq-quinze ans d’expérience »

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