Guillaume Piens, le commissaire général d’Art Paris rebaptisée « Art Paris Art Fair », veut résolument se distinguer de la Fiac et se tourner vers l’est. Un entretien sans complaisance.
Henri-François Debailleux : C’est votre seconde édition à la tête de la foire. Quels changements avez-vous apportés ?
Guillaume Piens : Cette édition n’a rien à voir avec celle de l’année dernière qui, de fait, était une année de transition, de mise en route d’une stratégie. Il fallait quand même un peu de temps pour mettre en place un projet axé autour de deux points principaux : d’une part se différencier réellement de la Fiac [Foire internationale d’art contemporain], d’autre part devenir une foire européenne qui regarde vers l’est. Choisir la Russie comme invitée d’honneur est une première étape ; d’autres pays suivront, l’est étant pour moi une direction géographique large qui comprend aussi bien l’Europe centrale et orientale que le Moyen-Orient et l’Asie. Il s’agit d’une orientation importante pour cette foire qui a souffert d’être d’abord une « anti-Fiac » puis une « double Fiac » et qui avait du mal à se différencier. La Fiac étant pour moi une foire très adossée sur le marché anglo-saxon, nous avons pris le risque, qui est un pari, de dire : « puisqu’ils vont à l’ouest, eh bien allons à l’est ».
H-F.D. : Le fait d’inviter un pays n’est pas nouveau. La Fiac elle-même le faisait déjà dans les années 1980…
G.P. : Effectivement, mais c’est le principe même du marronnier. Nous l’avons également fait, et avec beaucoup de succès, lorsque j’étais à Paris Photo. Cela dit, à ma connaissance aucune foire d’art française n’a jamais invité la Russie, et ensuite, tout dépend de la manière dont on fait les choses. Dans certaines foires, il existe ainsi des plateformes gadget où l’on voit un pays invité avec ses galeries cutting edge, à la pointe. Nous travaillons différemment. Notre projet a une vraie profondeur, nous avons effectué un important travail de recherche en amont et sur place. Nous faisons en sorte que soient représentés différents types de galeries, aussi bien d’art moderne que d’art contemporain et de photos, et que celles-ci donnent des facettes différentes de l’art russe des années 1930 à nos jours. Sont ainsi présentes dix galeries russes qui couvrent un large territoire ; elles ne sont jamais venues à Paris. Autour de cet axe russe se sont agrégées une quinzaine de galeries venant d’autres pays qui exposent leurs artistes russes. Cela donne un effet de masse, avec presque 90 artistes russes, qui offre une visibilité à cette scène peu montrée.
H-F.D. : Comment définiriez-vous la « patte Guillaume Piens » ?
G.P. : J’aime beaucoup le concept de régionalisme cosmopolite. On vit dans une situation globalisée, unifiée ; il y a aujourd’hui des autoroutes de l’art avec des foires qui se ressemblent de plus en plus, qui présentent les mêmes listes de galeries. J’ai envie d’explorer la relation aux territoires, les scènes locales notamment européennes qui ont une valeur singulière. De même je souhaite revisiter des périodes historiques, comme l’art cinétique ou les années 1980, avec par exemple l’école de Rome.
Je suis d’autre part très attaché à ce que j’appelle les « galeries d’auteurs ». Je me réjouis de voir que le second marché a quasiment disparu d’Art Paris Art Fair et d’accueillir aujourd’hui des galeries qui habituellement ne font pas les foires. Alain Margaron vient ainsi pour la première fois avec ces artistes passionnants que sont Fred Deux et Dado. Par ailleurs les galeries Maeght, Farideh Cadot, Claude Lemand, Christian Berst ou Polad-Hardouin ont une ligne spécifique, ne sont pas alignées sur les choix du marché, pas lissées sur les impératifs de la mode. En même temps sont aussi présents Daniel Templon, Nathalie Obadia, Anne de Villepoix…
H-F.D. : Ces derniers figurent également à la Fiac….
G.P. : La présence cette année, et pour la première fois, du Comité professionnel des galeries d’art, qui est partenaire de la manifestation, est un événement important. Les gens ont en effet compris qu’Art Paris Art Fair permettait aujourd’hui aux galeries françaises de s’exprimer et leur offrait une possibilité de redéploiement. La foire a beaucoup changé. En deux ans, nous avons fait un travail de prospection qui n’avait jamais été fait auparavant, avec une vingtaine de voyages par an. Autrefois, il se disait qu’on trouvait à Art Paris les refusés de la Fiac. Avec justesse d’ailleurs, parce que lorsque aucune démarche de prospection n’est entreprise et que l’on attend que la foire se remplisse en fonction de la sélection de la foire d’automne justement, c’est effectivement le résultat que l’on obtient. Alors aujourd’hui, nous avons des galeries qui ne font pas la Fiac, mais nous en avons d’autres et non des moindres qui la font aussi. Donc la question n’est plus là.
H-F.D. : Certes, mais le positionnement par rapport à la Fiac est au centre de votre réflexion…
G.P. : Que certaines galeries fassent les deux foires me paraît une bonne chose parce qu’Art Paris Art Fair est en train de trouver son identité et devient complémentaire de la Fiac. Art Paris a été une foire franco-française, puis, sous la direction de Lorenzo Rudolf, avec le projet des « Guests », elle est partie dans une direction fâcheuse, très « life style » ; elle a brouillé les cartes, on se serait cru dans un film de Peter Greenaway.
Un chiffre est révélateur : sur les 144 galeries présentes cette année, seulement 35 peuvent être qualifiées d’historiques de l’ancien Art Paris. La foire s’est donc renouvelée aux trois quarts depuis 2012. Nous lançons cette année le secteur « Promesses » avec de jeunes galeries prometteuses, comme XPO, Vincent Sator…, lesquelles, je l’espère, seront un jour à la Fiac. Nous présentons par ailleurs du design, mais pas de vintage, uniquement du contemporain. Enfin nous lançons une plateforme, « Artbooks », pilotée par Pacale Le Thorel, avec 20 éditeurs de livres d’art qui ont disparu de la Fiac. Nous ne sommes donc pas en compétition avec cette dernière. Nous sommes une nouvelle foire, en train de construire son histoire, une histoire différente.
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« Se différencier de la Fiac »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : « Se différencier de la Fiac »