Samuel Keller est le directeur d’Art Basel, la plus importante foire d’art moderne et contemporain au monde, qui se déroule dans la ville suisse jusqu’au 17 juin. Cette année, il organise également en décembre aux États-Unis, à Miami, un salon d’art moderne et contemporain, Art Basel Miami Beach, dont la première édition a dû être repoussée à cause des événements du 11 Septembre. Samuel Keller commente l’actualité.
Qu’attendez-vous de la Documenta de Cassel ?
Le succès d’Art Basel est indépendant de la Documenta, qui n’a lieu que tous les cinq ans. Les visiteurs, surtout ceux d’outre-Atlantique, viennent visiter la Documenta et la Foire de Bâle qui ouvrent presque en même temps. Nous avons ce public chaque année, mais les groupes d’amis de musées sont plus importants quand il y a plusieurs événements au même moment. Cette année, cela vaut la peine de se déplacer. La Documenta s’occupe davantage de théorie pendant qu’Art Basel cherche la qualité des œuvres elles-mêmes. La Documenta est toujours une source d’inspiration, pour le monde de l’art mais aussi pour le marché. La majorité des artistes que l’on peut y voir sont représentés et exposés par des galeries à Bâle. En général, on peut y acheter ce que l’on voit à Cassel. Il sera intéressant d’analyser l’influence pour les artistes sur le “marché” des bonnes et des mauvaises pièces de l’exposition de Cassel.
Cette édition de la Documenta privilégie les artistes issus de pays émergents qui n’ont pas forcément de galerie, et qui, de fait, ne peuvent pas exposer à la Foire de Bâle. N’est-ce pas un problème pour un salon qui entend être un reflet fidèle de la création artistique ?
Environ deux tiers des artistes de la Documenta sont également présents à Bâle. Pour le reste, il s’agit souvent de collectifs d’artistes et de créateurs d’autres domaines culturels, notamment africain, qui ne sont pas représentés par des galeries et qui ne sont donc pas à Bâle. Pour nous, ce n’est pas un problème du tout. La Documenta réunit environ 150 artistes, et Bâle dix fois plus. Il faudrait plutôt se demander pourquoi beaucoup d’artistes importants sont à Bâle et non à Cassel.
Vous avez dû reporter la première édition d’Art Basel Miami Beach, prévue en décembre 2001, à cause des attentats du 11 Septembre. Comment analysez-vous la situation des galeries neuf mois après la tragédie ?
Le 11 Septembre n’a plus d’effet sur la situation des galeries. Dans notre domaine, le marché de l’art de haute qualité, les collectionneurs achètent, le marché est bon. Toutes les galeries ont formulé leur demande pour la foire de Bâle le 1er octobre. Deux semaines après le 11 Septembre, elles étaient donc décidées à venir à Bâle, ce qui montre la confiance qu’elles ont en cette manifestation. En revanche, Art Basel Miami Beach, qui a beaucoup souffert et a dû être repoussée, est ressortie renforcée. Nous avions eu 450 demandes en 2001, et nous avons eu 100 demandes en plus pour 2002. La liste des galeries est encore meilleure que l’année passée. C’est de loin la liste la plus impressionnante de toutes les foires aux États-Unis. Si certains effets ne sont pas positifs pour le marché de l’art, ils ne sont pas liés au 11 Septembre, mais à la Bourse, aux élections, à l’économie en général dans les différents pays.
Quel sera le positionnement d’Art Basel Miami Beach par rapport aux autres foires d’art contemporain aux États-Unis ?
L’ambition d’Art Basel Miami Beach est d’être la meilleure des foires d’art contemporain aux États-Unis. Si on regarde ses participants, elle a déjà la meilleure liste de galeries. Maintenant, il reste à prouver sa réussite économique. Mais si nous savons que des collectionneurs et des conservateurs de musées du monde entier viendront, le doute économique persiste. Nous ne cherchons pas organiser la plus grande foire, à accueillir le maximum de galeries. Nous pensons que 150 exposants représentent la taille idéale pour la foire et pour les visiteurs. Avec les demandes que nous avons reçues, nous pourrions sans problèmes être la plus grande, mais nous ne le voulons pas. Notre travail ne s’arrête pas à la location d’un stand à une galerie, mais nous devons permettre à cette galerie de réussir la promotion et la vente de ces artistes. Nous devons ensuite trouver les collectionneurs qui vont acheter dans ces galeries. Puis, il faut qu’ils reviennent, parce que la continuité est primordiale pour une foire. Nous voulons être numéro un, c’est évident. Mais il n’y a aucun problème à coexister avec d’autres foires, car nous avons un concept assez différent qui introduit quelque chose de nouveau.
Les ventes de New York ont encore battu des records. Comment les analysez-vous ?
Il faut voir deux choses. En principe, le fait que les ventes aux enchères marchent bien est positif. D’un autre côté, ces records ne sont pas vraiment révélateurs de la réalité du marché. Les maisons de ventes s’intéressent uniquement aux cinquante artistes qui sont à la mode. Le marché de l’art, c’est surtout les galeries qui représentent des milliers d’artistes qu’elles découvrent puis qu’elles soutiennent.
La collection Staechelin vient de réintégrer le Kunstmuseum de Bâle qu’elle avait quitté en raison de la signature par la Suisse de la convention Unidroit. Comment jugez-vous la politique fédérale en matière de propriété des œuvres d’art ?
La Suisse a une politique assez libérale et raisonnable pour la culture, notamment pour l’art. Elle est plus favorable au marché de l’art que nombre de ses pays voisins de l’Union européenne. Mais il y a toujours des initiatives de bonne volonté qui ont, finalement, des effets négatifs sur le marché de l’art et sur la politique culturelle. En Suisse, avant de changer une loi, tout le monde est consulté en général : les galeries, les collectionneurs, les musées. La Suisse est l’un des pays les plus attractifs en Europe pour le marché de l’art.
Quelles sont les expositions qui vous ont marqué dernièrement ?
L’extraordinaire rétrospective “Matthew Barney” à Cologne, qui a ouvert ses portes le 4 juin, qu’il ne faut absolument pas rater. J’ai beaucoup aimé l’exposition sur Marcel Duchamp à Bâle, au Musée Tinguely, organisée par Harald Szeemann. J’ai apprécié également l’exposition “Giacometti” présentée à Zurich et New York. J’ai vu récemment une exposition “Dalí”, à Miami, qui m’a beaucoup surpris car il s’agissait de son travail pour le pavillon surréaliste pour la Foire mondiale à New York en 1939, conçu comme une installation, avec des performances. C’est un aspect de son travail que je ne connaissais pas et qui est très intéressant. Ensuite, j’ai adoré l’exposition de photographies de Richard Prince au Gegenwartskunstmuseum de Bâle. Dans les galeries, c’est l’exposition de Gregory Crewdson chez Luhring Augustine qui m’a plu. La Jumex Collection à Mexico m’a impressionné et j’envie Paris pour son Palais de Tokyo. En revanche, l’année dernière, j’ai été déçu que les visiteurs étrangers de la Fiac aient raté les expositions “Dubuffet” et “Nan Goldin” à cause de la grève au Centre Georges-Pompidou.
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Samuel Keller
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : Samuel Keller