Deux arrêtés du ministère de la Culture octroient pour la première fois le bénéfice du droit de suite français à des artistes étrangers.
Paris. Au début du XXe siècle, le député français André Hesse a souhaité introduire dans la législation française un « droit alimentaire » rattaché aux droits patrimoniaux de l’artiste. L’anecdote voudrait que ce soit après avoir vu un dessin de Jean-Louis Forain (1852-1931) représentant la petite-fille du peintre Jean-François Millet vivant dans la misère et vendant des fleurs que le député eut l’idée de ce droit – alors que la toile de son aïeul intitulée L’Angélus (1857-1859) venait d’être adjugée pour un million de francs.
Instauré par une loi du 20 mai 1920, l’actuel article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le droit de suite est « un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsqu’intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art ». Plus concrètement, ce droit permet à un auteur d’œuvres graphiques ou plastiques, ou à ses ayants droit jusqu’à soixante-dix ans après son décès, de percevoir un pourcentage du prix de revente d’une œuvre lorsqu’il dépasse 750 euros.
Intrinsèquement français, ce droit de suite n’a que peu d’équivalent dans le monde. Pendant longtemps les artistes étrangers ne pouvaient donc pas en bénéficier lors de reventes sur le sol français. Toutefois, une harmonisation a été opérée au niveau européen par une directive du 27 septembre 2001, transposée dans le droit français par la loi du 1er août 2006 au travers de deux mécanismes. Dans le premier, les artistes étrangers se voient appliquer une réciprocité automatique du droit de suite en France si leur législation nationale accorde ce droit aux artistes qui sont des ressortissants des États membres de l’Union européenne. Dans le second, les artistes étrangers peuvent demander à bénéficier du droit de suite à la condition qu’ils aient participé à la vie artistique française et résidé pendant au moins cinq ans sur le sol français. Ici les artistes intéressés ou leurs ayants droit doivent présenter une demande au ministre de la Culture qui statue après avis d’une commission dédiée.
Cette dernière hypothèse n’est pas anodine pour les artistes américains, chinois ou japonais, dont les législations ne connaissent pas de droit de suite. Toutefois le cas états-unien est un peu particulier puisque l’État de la Californie a été le seul à reconnaître un droit de suite américain, en 1977 par le California Resale Royalty Act. Dans les années 2010, la Sam Francis Foundation, l’Estate de Robert Graham et les artistes Chuck Close et Laddie John Dill avaient d’ailleurs intenté une class action contre Christie’s, Sotheby’s et eBay au motif que ces sociétés violaient systématiquement leur obligation légale de payer les redevances sur des œuvres d’art vendues en Californie ou livrées aux enchères par des vendeurs californiens. Mais la United States Court of Appeals for the Ninth Circuit [cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit] a mis ce texte à l’index en 2017.
Face à la perte d’une manne pécuniaire non négligeable, la Sam Francis Foundation a donc peut-être voulu lorgner sur le droit français afin de se voir octroyer le bénéfice du droit de suite. C’est désormais chose faite par un arrêté du 30 octobre 2024 selon lequel Sam Francis (1923-1994), « auteur de nationalité américaine, est admis au bénéfice de la protection prévue à l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle ». Le même jour, l’artiste japonais Takesada Matsutani (né en 1937) s’est également vu reconnaître ce droit de suite. Une solution juste et mesurée pour ces deux artistes présents sur le territoire français et ayant participé à sa vie culturelle et artistique.
Surtout, ces arrêtés sont importants puisqu’il s’agirait de la toute première fois que le ministère de la Culture reconnaît expressément le bénéfice du droit de suite à des artistes étrangers. Ceux-ci ouvrent donc la voie à une nouvelle compréhension du droit d’auteur qui, contrairement à l’idée trop souvent et facilement véhiculée d’un droit humaniste, est avant tout celui d’un droit de l’économie de la création.
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La France accorde pour la première fois le bénéfice du droit de suite à deux artistes étrangers
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A noter que le droit de suite est plafonné à 12 500 €
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Sam Francis et Takesada Matsutani bénéficiaires du droit de suite