La Chine offre un visage artistique à plusieurs facettes, malheureusement plombé par un art conçu pour l’export. Sur place, la censure veille encore.
Une vidéo de l’artiste Song Dong, présentée sur la foire ShContemporary, à Shanghaï du 7 au 9 septembre, pourrait servir de métaphore à la Chine. Un marteau brise à plusieurs reprises un miroir installé dans des rues passantes, geste montrant une autre facette du décor. Car le pays se révèle en trompe l’œil, fascinant mais flou. Tiraillé entre ordre et instabilité, énergie et inefficacité, croissance vitaminée et pauvreté crasse, l’empire du Milieu offre aussi un art à focales multiples. Le grand-angle étant un art conçu pour l’export, réminiscence moderne des chinoiseries du XVIIIe siècle. « Tout le marché est sous domination étrangère. Les Occidentaux ne comprennent pas notre goût, ce qui est normal. C’est comme demander à des Chinois de regarder l’Urinoir de Duchamp, ironise la collectionneuse Pearl Lam. Pourquoi les artistes devraient-ils suivre le goût de l’Ouest, pourquoi ne pourrions-nous pas retourner à nos origines ? »
Cote factice
Plus qu’un retour aux sources, bon nombre d’artistes chinois briguent la reconnaissance internationale et sont prêts pour cela à se couler dans le moule. « L’art américain a connu des succès en termes de marché, maintenant c’est à notre tour », observe ainsi l’artiste Wang Guangyi. L’an dernier, le très bon performeur Zhan Huan nous avait même confié vouloir produire davantage que Picasso et Rubens réunis. « Ces artistes ont vécu dans une grande pauvreté pendant des années, module Ferdie H. Ju, directeur de Gallery 55 à Shanghaï. On peut comprendre qu’ils veuillent aujourd’hui leur part du gâteau. » C’est chose faite avec Yue Minjun, propulsé artiste chinois vivant le plus cher avec l’enchère de 2,1 millions de livres sterling (3,05 millions d’euros) chez Sotheby’s en juin. Un prix qui, somme toute, n’est pas plus ahurissant que les 5,7 millions de livres sterling (8,3 millions d’euros) qui ont gratifié l’Écossais Peter Doig. « Les Occidentaux pensent que les artistes chinois n’ont commencé à vivre qu’à partir du moment où ils les ont regardés. Mais ils ont vécu bien avant que leurs prix ne grimpent, défend Lorenz Helbling, directeur de la galerie ShanghART. Ce n’est pas parce qu’un artiste est chinois qu’il doit être bon marché. »
Certes, mais les hausses vertigineuses enregistrées ces dernières années relèvent plus de la spéculation que d’un soudain intérêt artistique. « Il est sûr qu’il existe des manipulations, venant principalement des groupes de collectionneurs-marchands chinois qui stockent des œuvres d’un artiste, puis les mettent en vente et décrochent des prix élevés en les faisant acheter par des amis. Ils font office de banque centrale en rachetant tout pour maintenir la cote, admet le spécialiste Jean-Marc Decrop. Mais ce n’est pas spécifiquement chinois. Ils ont appris ces pratiques auprès des Américains et se contentent de les répéter. »
Critiques achetés
Derrière le ramdam du marché, se dessinent quelques îlots de résistance, souvent confidentiels, visibles notamment dans les sections « Best of Artists » et « Best of Discovery » conçues par le marchand genevois Pierre Huber sur la foire ShContemporary. « Les étrangers pensent que tout est focalisé sur la politique en Chine, mais le réalisme cynique est aujourd’hui dépassé, précise Enrico Polato, directeur de la galerie Urs Meile de Pékin. Les artistes se concentrent sur l’expérience de leur propre vie. » C’est le cas de He Chengyao, dont les performances sont inspirées des troubles mentaux de sa mère. Mêmes échappées avec les paysages lunaires de Lin Tianmao, ou avec l’installation de Qiu Anxiong, capsule dans le temps aux faux airs d’Orient Express déployée à la galerie Universal Studios à Pékin. Mais cet art conceptuel ou poétique se révèle peu porté par la critique. « Il y a vingt ans, les critiques affichaient de vraies positions, indique Melissa Chu, directrice de l’Asian Society à New York. Certains ont aujourd’hui des postes importants dans des musées et ne prennent plus le risque de s’exprimer. » Plus sévère, Huang Du, senior curator au Today Art Museum à Pékin, affirme que « les critiques ne sont plus indépendants. Les galeries les payent pour qu’ils écrivent ».
Capitalisme économique ne rime pas avec libéralisme social dans un pays qui garrotte l’information. « Les publications et surtout les chaînes de télévision sont beaucoup plus contrôlées que l’art contemporain car leur audience est infiniment plus large que la nôtre », tempère pourtant Yang Ming, directeur associé du Beijing World Art Museum. N’empêche, musées et galeries restent aux aguets. Le Zendaï Museum à Shanghaï a ainsi plusieurs fois subi le couperet. En mai 2006, il a dû fermer une exposition de groupe vingt minutes après le vernissage, le comité de censure ayant coupé le générateur électrique et imposé le retrait d’œuvres supposées pornographiques de Zhang Ding. « Avant une exposition, les officiels viennent vérifier si l’exposition est conforme ou non, mais nous ne savons pas ce qui va être accepté ou refusé. Tout cela reste flou », relève Stephanie Tung du centre d’art 3 Shadows Photography à Pékin. La versatilité des règles n’exclut pas quelques constantes. La politique et la légitimité du parti communiste restent taboues, tout comme la violence, la religion et la pornographie, autant de sujets que les exposants de la foire ShContemporary avaient pour consigne d’éviter. Urs Meile (Lucerne, Pékin) a dû renoncer à un tableau de Wang Xingfei représentant des Chinoises accablées, tentant de fuir l’armée japonaise, épisode que l’histoire officielle présente de manière plus glorieuse. De son côté, Max Lang (New York) a remisé une œuvre de Damien Hirst jugée trop sexuelle par le comité de censure, et Chantal Crousel (Paris) a décroché des collages de Thomas Hirschhorn. Les censeurs n’ont en revanche pas moufté devant les peintures vulgaires de Wang Qiang chez Park Ryu Sook Gallery (Séoul) ! Certains ont transformé la sentence en phénomène d’attraction. La galerie Continua (San Gimignano, Pékin) a ainsi gardé sur son stand une caisse contenant un grand bouddha revu et corrigé par Kendell Geers, en précisant sur un petit mot que l’œuvre avait été prohibée.
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Résistance et spéculation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Résistance et spéculation