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Rémi Babinet : « Nous voulons participer au changement d’image de Paris »

Président et directeur de la création de BETC

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2016 - 1610 mots

Le publicitaire Rémi Babinet, dont l’agence BETC a investi les Grands Magasins à Pantin, est un militant du Grand Paris.

Rémi Babinet. © Photo : Vincent Desailly.
Rémi Babinet.
© Photo Vincent Desailly

Le publicitaire Rémi Babinet (59 ans), cofondateur de BETC, collectionne les trophées avec ses campagnes pour evian®, Air France ou Lacoste. En installant son agence à Pantin, dans deux immenses immeubles construits en 1930 au bord du canal de l’Ourcq, il façonne le Grand Paris qu’il appelle de ses vœux. Cette filiale d’Havas multiplie ses missions auprès des opérateurs culturels sous forme de mécénat de compétence.

BETC avait déménagé de Levallois vers le 10e arrondissement et vient de s’installer à Pantin. Cela répond à des opportunités immobilières ou à la volonté d’aller dans les quartiers populaires ?
En 2000, on voulait quitter Levallois pour aller dans un quartier plus cosmopolite, plus commerçant pour faire mieux notre métier. À l’époque le 10e arrondissement n’était pas le « boboland » qu’il est devenu aujourd’hui. Cela a été concomitant à la vraie naissance de l’agence et l’explosion de notre activité, que j’impute justement en partie à ce nouveau siège. Le choix de Pantin correspondait d’abord à la résolution d’un problème de place et de regroupement des équipes réparties sur sept sites. Mais une fois la décision prise, on s’est dit qu’il fallait faire un mouvement aussi intéressant que le précédent. On va vers l’Est parisien car, outre la constitution d’un arc de l’innovation, dans notre zone on voit apparaître un arc créatif avec la Philharmonie, la Villette, Mk2, le Centre national de la danse, la galerie Ropac, le ciné 104…

Les Magasins généraux ont été pendant dix ans le terrain de jeu de centaines de graffeurs. Comment avez-vous gardé la mémoire de cette histoire ?
Nous avons d’abord réalisé un archivage photographique de tous les graffs, puis publié un livre, Graffiti général, avec une sélection de ces graffs et l’histoire du bâtiment. Nous avons également ouvert un site internet, où le bâtiment était numérisé et les internautes pouvaient dessiner virtuellement (www.graffitigeneral.com/fr). Cela a formidablement fonctionné. Nous avons aussi gardé trente très grandes œuvres qui sont stockées dans des containers sur leur support et envisageons de faire une exposition sur l’histoire des lieux. Pour autant, nous ne voulions pas être enfermés dans cette mémoire, il n’y a plus aucun graff dans le bâtiment. Le street-art est un art rebelle qui n’est pas, selon moi, destiné à décorer un bureau.

Quelle est la philosophie de la réhabilitation du site, réalisée par l’architecte Frédéric Jung ?
Il s’agissait d’appréhender ce qui fait la force de l’histoire d’un bâtiment, de respecter son côté outil, brutal, immeuble d’ingénieur des années 1930, et de le transformer en « bâtiment techno du futur ». C’est important de s’appuyer sur le passé, tout en essayant d’aller le plus loin possible dans le futur en innovant. C’est plus intéressant qu’un bâtiment moderne construit de zéro, où il manque une inscription dans l’histoire. Ce n’est pas non plus du façadisme ni du tabula rasa ou de la réhabilitation scrupuleuse du passé. C’est un bon équilibre entre tout cela. On avait procédé ainsi dans notre précédent site dans le Grand Magasin Lévitan.

Le point clef, c’est que nous avons pu maîtriser tout le projet, du bâtiment extérieur à l’agencement intérieur en passant par le mobilier, et ainsi transformer plus facilement notre organisation. Par exemple le bureau libre, une pratique qui se développe dans les pays anglo-saxons, favorise ce que l’on appelle la serendipity, c’est-à-dire des rencontres inattendues entre les salariés, qui favorisent l’utile ou le plaisant. Nous avons gommé les signes extérieurs hiérarchiques et décloisonné les métiers de telle sorte que les spécialistes travaillent mieux entre eux. Autre exemple du caractère particulier du projet, il n’y a pas un seul designer star qui a dessiné tout le mobilier, mais une quinzaine de designers qui travaillent ensemble dans un projet commun qui n’est pas la patte d’une seule personne.

Allez-vous, comme dans le précédent lieu, installer une galerie d’art ?
Il y a au rez-de-chaussée un très grand espace dont on voudrait qu’il soit la continuation du Passage du désir, mais en prenant d’autres formes, moins sur le modèle d’une galerie d’art et plus comme un lieu de création collaboratif, ouvert sur l’extérieur. Tout le bas du bâtiment est ouvert sur la rue, car nous ne voulons pas être une entreprise qui se « bunkerise ». On veut connecter l’immeuble au quartier avec un bistrot, des commerces, une webradio… Nous avons eu beaucoup d’échanges productifs avec le maire de Pantin, car nous voulons être moteur dans l’évolution du quartier.

Votre associée Mercedes Erra préside le Musée de l’immigration, BETC aide plusieurs musées à travers du mécénat de compétence, pourquoi cet investissement dans les musées ?
Notre premier actif, ce sont nos équipes qui adorent leur métier de publicitaire, mais qui ont d’autres centres d’intérêt. C’est lié à l’histoire des gens, par exemple Mercedes Erra. Beaucoup de nos salariés ont un pied ailleurs que dans la pub, dans la musique, la photo, la cuisine etc. Ce ne sont pas des pubards tels que les journalistes les caricaturent. Ils travaillent sur les marques, leur image, leur réputation, des actifs qui comptent autant, voir plus aujourd’hui que les produits ou services que les entreprises vendent. Le mécénat de compétence avec Nuit Blanche, la BnF, la Cinémathèque, la Philharmonie, La Nuit des idées, Versailles… nous permet de créer une autorité de compétence particulière au cœur d’institutions référentes dans le domaine de la création, ce qui renforce notre positionnement. Notre engagement en mécénat de compétence correspond à peu près à quatre ou cinq emplois à temps plein à l’année.

Pourquoi avoir pris la présidence du tout nouveau fonds de dotation du Grand Paris Express ?
Cela va de pair avec le déménagement actuel de l’agence qui franchit le périphérique : pour dire que cette séparation Paris-banlieue va vite devenir obsolète, car dans les dix ans il y aura une seule entité qui s’appelle le Grand Paris. J’ai tout de suite accepté la mission, parce qu’il me semble que dans la compétition mondiale il y a une forme de complot aimable contre Paris, où nos concurrents ont intérêt à ce que Paris reste un musée, la plus belle ville du monde. Paris ne peut pas se laisser enfermer dans cette image de passé magnifique. Nous voulons participer au changement d’image de Paris. Avec ce projet autour des 200 km de nouvelles lignes, des 68 gares qui sont autant de hubs, Paris va renaître sous la forme d’une mégalopole mondiale et entrer en compétition avec Shanghaï, New York et Londres. Ce projet culturel est la première façon de raconter une histoire sur le Grand Paris qui en manque singulièrement. Je suis très proche de Jérôme Sans et José Manuel Goncalves, les deux directeurs artistiques du projet, on discute beaucoup.

Les marques muséales sont-elles des marques comme les autres ?
D’un point de vue technique, le travail sur la marque d’un opérateur culturel est le même que pour une entreprise commerciale. Je note d’ailleurs que de plus en plus de ces opérateurs comprennent qu’il faut raisonner en termes de marque. Et ce travail produit des résultats. Prenons l’exemple de la Philharmonie, l’objectif d’ouverture aux différents publics rencontre un franc succès, environ 30 % du public vient de proche banlieue, dont environ 20 % d’entre eux de Seine-Saint-Denis. Je suis fier d’avoir contribué à mon humble niveau à la démocratisation culturelle de ce lieu. Dans le même temps je constate que certaines marques commerciales commencent à entrer dans le patrimoine de la pop culture, comme evian® par exemple.

Comment communiquer vers le plus grand nombre sans désacraliser ces lieux ?
Notre première mission est la simplification, un concept qui peut paraître horrible aux acteurs culturels. On est obligé de simplifier l’apparence, les messages pour parler efficacement au plus grand nombre. Dans notre dernière campagne pour la Philharmonie, où l’on voit un piano plonger dans un bain de peinture rouge, on veut montrer que tout en restant centrale, la musique classique s’ouvre à toutes les expérimentations. Simplification ne veut pas dire amoindrissement, mais capacité à faire passer un message fort. Par ailleurs, les institutions culturelles n’ayant pas l’habitude de faire appel à la publicité, le simple fait de communiquer envoie un message d’accessibilité et donc de démocratisation culturelle.

Ne pensez-vous pas que la publicité, le cinéma, le théâtre ont tendance à caricaturer l’art contemporain ?
La pub est encore plus moquée que l’art contemporain ! Mais c’est vrai que l’art contemporain est souvent égratigné dans les médias non spécialisés. A contrario la musique est mieux considérée, car elle est le plus souvent positive et qu’elle crée plus facilement des émotions. L’art contemporain ne crée pas d’émotion collective. C’est davantage une pratique individuelle. N’oublions pas aussi que les arts visuels font davantage appel au cerveau, à l’éducation, ils nécessitent un mode d’emploi. La pub joue sur le mainstream, or l’immense majorité du public visé par la publicité voit l’art contemporain à travers des caricatures. Encore maintenant, le grand public a des réticences à l’égard de l’art actuel. Les milieux de l’art contemporain, comme ceux de la mode, cultivent aussi une forme d’élitisme, d’entre soi. Il a du mal à accepter une certaine fantaisie. En réalité, ce ne sont pas les artistes qui cultivent cet état de fait, ce sont les intermédiaires, le marché. Certains artistes sont entraînés dans ce mouvement, mais je pense que c’est à contrecœur.

Qu’est-ce ce que cela vous fait d’être l’un des dix meilleurs créatifs de l’histoire selon le magazine américain Forbes ?
Cela me fait plaisir bien sûr mais c’est un peu dérisoire. J’y vois à travers moi la reconnaissance de la création française dans un monde dominé par les Anglo-Saxons.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : Rémi Babinet : « Nous voulons participer au changement d’image de Paris »

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