L’événementiel et la commande publique ont été les axes majeurs de la politique de la Ville en matière d’art contemporain. La municipalité sortante souhaite favoriser la synergie entre les institutions locales.
Nommé le 28 janvier, José-Manuel Gonçalvès est le directeur artistique de la prochaine Nuit blanche, programmée le 4 octobre 2014. Faut-il voir dans le choix de Bertrand Delanoë une reconnaissance pour le travail accompli depuis trois ans par le directeur du Centquatre ? On peut le penser. Avec Nuit blanche et la Gaîté-Lyrique, lieu dédié aux arts numériques, la création de cet espace pluridisciplinaire (théâtre, danse, musique, arts visuels…) a été le projet phare de Christophe Girard, l’ancien adjoint de Bertrand Delanoë en charge de la culture.
Cinq ans après son ouverture en 2008, suivie de deux années de flottement et de déboires tant sur le plan de la fréquentation que du contenu, ce lieu culturel créé dans les bâtiments des anciennes Pompes funèbres de la Ville, reconvertis en résidences et ateliers, a trouvé sa place dans le paysage artistique sous la direction de José-Manuel Gonçalvès, nommé en 2010. À l’art contemporain, l’un des axes de sa programmation, José-Manuel Gonçalvès a en effet donné le contenu qui manquait et insufflé par là même un début de dynamique à ce quartier du nord-est de la capitale éloigné des grandes institutions du centre ou de l’ouest de Paris. Ce qui ne pouvait que satisfaire ceux qui ont porté politiquement sa création. Reste que l’établissement a cristallisé, et cristallise encore, les limites et les incohérences de leurs actions. La réhabilitation des bâtiments patrimoniaux dans un double souci de sauvegarde et d’inscription urbaine de lieux culturels dans des quartiers populaires s’est faite à grands frais, et elle ne s’est nullement accompagnée des moyens pour financer leur programmation et leur production d’expositions ou de manifestations.
Collaborations
Le 104, doté chaque année d’un budget de 8 millions d’euros, lesquels sont absorbés par les frais de fonctionnement de la structure, doit mettre régulièrement en location ses bâtiments afin de dégager de la trésorerie pour produire un contenu ou venir en soutien. Certes, à la différence des deux premiers responsables de l’établissement, Robert Cantarella et Frédéric Fisbach, partis tous deux à la fin de leur premier mandat, José-Manuel Gonçalvès a su s’y adapter et faire évoluer le lieu en un centre artistique de référence et d’accueil pour différentes manifestations. Tels la Biennale de Belleville en 2013 ou, cette année, Circulation(s), le festival de la jeune photographie européenne. Mais il reste à les fidéliser. La Biennale de Belleville « ne travaillera pas pour sa troisième édition avec le 104, mais avec le pavillon Carré de Baudouin, situé plus au cœur de Belleville où elle se déroule », précise Patrice Joly, son commissaire général. En revanche, la collaboration du CentQuatre avec le Musée d’art moderne de la Ville de Paris se poursuivra. L’exposition « Keith Haring », divisée entre les deux espaces, a marqué l’an dernier pour les deux institutions parisiennes une première. Comme le fut, pour le Musée d’art moderne, l’exposition « Dynasty » coproduite en 2010 avec le Palais de Tokyo et proposée dans les deux lieux, ou, plus récemment, sa participation à l’exposition « Alaïa » du Musée de la mode.
La participation du Centquatre au prochain Mois de la photo, biennale orchestrée par la Maison européenne de la photographie, s’inscrit tout autant dans ce dialogue entre institutions désormais encouragé par la Ville et favorisé par l’entente des responsables de ces établissements. « Plus la contrainte économique sera grande, plus les institutions culturelles et artistiques de la Ville vont être invitées à travailler ensemble pour pouvoir coproduire des expositions », soutient Régine Hatchondo, directrice des affaires culturelles de la Ville de Paris.
Dynamisme
Du côté des établissements, on recherche plus que jamais ces collaborations. « Nous sommes en train de réfléchir à des partenariats avec le 104, car nous sommes sur des histoires communes et des situations géographiques identiques (en périphérie du centre de Paris) », confie Alexia Fabre, responsable du Mac/Val, à Vitry-sur-Seine, tout en rappelant « l’adhésion depuis deux ans du Musée d’art moderne de la Ville de Paris au réseau Tram, qui pendant longtemps a été le réseau des lieux d’art contemporain de la périphérie. » Des dialogues, des résonnances entre les institutions s’organisent, se consolident, y compris pour des petites structures comme Bétonsalon, association née en 2003 au sein de Paris-Diderot (Paris-VII), dans le 13e arrondissement, et transformée en 2007, avec l’aide notamment de la Ville, en centre d’art et de recherche.
La Gaîté-Lyrique s’est positionnée autrement, sur les cultures numériques, qui en ont fait un lieu culturel pluridisciplinaire. Sa programmation, dont elle assume quasiment toute la production, contrairement au 104, est l’autre facteur de différenciation. Aussi n’est-elle pas rentrée dans le dialogue qui prévaut désormais entre institutions ou associations en ce qui concerne l’art contemporain. Dialogue que chacun recherche plus que jamais.
« Ce mode de collaboration permet d’accroître la visibilité de ce que l’on fait sur Paris et souligne le dynamisme des institutions, relève Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne. Nous avons très envie de le développer avec le Petit Palais, le Musée Carnavalet et d’autres institutions parisiennes. » Ce d’autant que les moyens alloués par la municipalité au Musée d’art moderne, tête de proue pourtant de sa politique en matière d’art contemporain, n’ont pas été à la hauteur de ce qu’une telle structure aurait pu attendre de sa tutelle pour soutenir son développement. Elle devrait cependant pouvoir enfin disposer en 2014 d’un site Internet digne de ses collections et de ses différentes activités.
Avec 400 000 euros de budget d’acquisition annuel, stable depuis des années, le musée dispose d’une enveloppe limitée. Son directeur a pu néanmoins l’augmenter grâce à des donations, dons et legs importants et à la générosité de la société des Amis de l’institution. S’ajoutant au budget d’acquisition annuel du Fonds municipal d’art contemporain (FMAC) (entre 200 000 et 150 000 euros, la tendance étant plutôt à 150 000 euros ces dernières années), ce sont 650 000 à 700 000 euros qui sont consacrés au total chaque année par la Ville pour l’enrichissement de ses collections en œuvres contemporaines. Pas très loin des 900 000 euros accordés annuellement pour la trentaine d’œuvres produites pour Nuit blanche. Sur ces dépenses engagées, seulement 10 % seront remboursés à la Ville si la pièce est vendue par l’artiste ou par son galeriste.
Commande publique
La politique de la ville en matière d’art contemporain n’a pas échappé à l’appétence de Bertrand Delanoë pour l’événementiel. La création de Nuit blanche a été de fait LE grand acte politique de la Ville en matière d’art contemporain. Elle a laissé en arrière-plan tout le volet commande publique passée à des artistes, pourtant très important mais peu médiatisé. Si 16 commandes ont été réalisées dans l’espace public durant la période 2004-2008 (dont 8 pour le tramway T3 des Marcéhaux-Sud), 30 œuvres ont vu le jour au cours de ces cinq dernières années dont 15 pour le prolongement du tramway. « Soit, pour les seules commandes qui s’égrènent le long du tracé de la ligne du tramway, un budget de 15 millions d’euros auxquels se rajoutent les 3 millions programmés pour les commandes du dernier tronçon », souligne Barbara Wolffer, chef du département de l’art dans la ville.
Face à ces 18 millions au total pour la commande publique liée au tramway, les 4,4 millions consacrés sur onze ans pour l’enrichissement des collections du Musée d’art moderne ou le 1,65 million d’euros alloué à celle des collections de FMAC sont bien faibles. Fonds municipal d’art contemporain qu’un rapport de la Cour des comptes a d’ailleurs épinglé en 2013 pour le non-récolement de ses collections comme pour sa politique inexistante de valorisation de ses collections. Il a fallu ces critiques pour que l’on s’active à remédier à la situation.
« Pour 2014, nous avons obtenu les arbitrages pour le récolement des œuvres du FMAC, qui se traduira par la création d’un poste de conservateur spécialiste en art contemporain et un récolement en trois tranches de trois ans », précise Régine Hatchondo. Une collaboration plus étroite entre le FMAC et les collections du Musée d’art moderne est aussi envisagée.
Les autres manquements, Régine Hatchondo les admet sans ambages. « Effectivement, sur le plan numérique, nous avons pris du retard, mais ce de manière générale ; une étude a été lancée sur cette question. Nous devrons également aller plus loin dans l’offre d’ateliers-logements. » Entre 2001 et 2013, le parc s’est accru de 38 %, portant le niveau d’ateliers construits ou aménagés à 1 008, pour 2 000 demandes d’atelier en 2013 et une situation immobilière inflationniste qui a conduit nombre d’artistes à quitter Paris. Aussi la Ville voudrait-elle aller plus loin. De même s’est-elle engagée, dans des proportions variables, en faveur des associations œuvrant stricto sensu pour l’art contemporain (telles Bétonsalon, la Biennale de Belleville, ou l’association Le M.U.R pour le street art), les finançant en général à hauteur d’un tiers à la moitié de leur budget, tandis que la scène de l’art contemporain dans la capitale s’est considérablement développée. Fabrice Hergott le rappelle : « Paris a beaucoup changé culturellement. De nombreuses initiatives privées se sont développées ; je pense à la Maison rouge, au travail remarquable de la Fondation Ricard avec laquelle nous envisageons des collaborations pour soutenir la scène française qui est en train de se développer. » Et le directeur du Musée d’art moderne émet un souhait. « Comme l’a fait le Whitney [Museum of American Art à New York], il faudrait un lieu pour valoriser d’une manière permanente la scène française dans une perspective historique et contemporaine. » Sera-t-il entendu ?
La photographie n’a pas été le parent pauvre de la politique de Bertrand Delanoë. La Maison européenne de la photographie poursuit, sous la direction d’Henry Chapier et Jean-Luc Monterosso, sa programmation généraliste et l’enrichissement de ses collections comptant parmi les plus belles en Europe. Tête de proue depuis dix-huit ans de la politique de la Ville, elle bénéficie d’un budget global relativement stable d’une année sur l’autre de 5 millions d’euros, financés à hauteur de 3,7 millions par la Ville. Subvention qui inclut le budget du Mois de la photo, la grande biennale de la photographie qui, depuis 1980 et au regard de son succès, a fait des petits en Europe et ailleurs. Sous les toits du 5/7, rue de Fourcy, l’Atelier de restauration et de conservation des photographies (ARCP), qui a fêté l’an dernier ses 30 ans et qui fut la première du genre en France comme à l’international à diposer d’une expertise en la matière, demeure l’institution de référence sur le sujet, et Anne Cartier-Bresson, qui en fut l’investigatrice, sa responsable.
Au rang des initiatives prises au cours de ces dernières années par la municipalité, la création en 2005 de la Parisienne de la photographie a marqué la prise de conscience de l’urgence à numériser les collections de ses musées et bibliothèques qui lui sont rattachées. Chaque année depuis sept ans, elle est dotée d’un budget de 1,2 million d’euros. Parallèlement, la création du Bal par l’association des Amis de Magnum, devenue en six ans l’un des lieux prescripteurs pour les expositions à Paris, a bénéficié du soutien de la Ville qui a acheté pour 950 000 euros les murs et les a restaurés à hauteur de 850 000 euros. Le Bal reçoit par ailleurs une subvention de 100 000 euros pour son fonctionnement. Quant aux expositions photo dépendantes des institutions municipales, Carnavalet et la Bibliothèque de la Ville de Paris en tête, elles se sont multipliées à l’instar de celles de l’Hôtel de Ville, axées sur la capitale, gratuites et populaires.
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Art contemporain, des ambitions relatives
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Art contemporain, des ambitions relatives