PARIS
La photographie nippone est le fidèle reflet de l’histoire récente de ce pays riche en traditions. Les galeries de Paris Photo offrent sur leur stand quelques-unes de ses plus importantes figures.
Exception faite de 1 300 monographies consultables à Paris à la Maison Européenne de la Photographie, l’histoire de la photographie japonaise restait négligée en France. Paris Photo révèle une scène majeure en mutation qui exprime son génie dans les désastres.
Le Japon s’ouvre à la photographie lorsqu’en 1853 l’Amérique force le commerce avec l’Occident sous la menace des canons. L’appareil photo sert aussitôt une culture de l’image imprimée liée à l’art de l’estampe. Dès 1862 à Nagasaki puis Yokohama, les premiers studios produisent des clichés exotiques destinés aux étrangers. Quelques rares portraits anonymes (présentés sur Paris Photo par la Galerie Lumière des Roses, Montreuil) vont résister aux méfaits du climat. Vers 1880, Kimbei Kusakabe, ex-assistant du fameux reporter Felice Beato, invente une technique de coloriage à la main qui fait l’intérêt des rares albums retrouvés (Galerie Tissato Nakahara, Paris). Très vite, des amateurs de talent éditent leurs œuvres à compte d’auteur tels que Shinzo Fukuhara, héritier des cosmétiques Shiseido, qui publie ses vues de Paris et la Seine en 1922, suivi de son manifeste influent La Lumière et ses harmonies (Tissato Nakahara). Poussant cette recherche, Ihei Kimura cofonde la revue photographique moderniste Kôga en 1932. Ce photojournaliste, disciple d’Henri Cartier-Bresson, qui joue un rôle moteur dans l’après-guerre, va scruter l’Europe en 1954-1955 (Galerie Zeit-Foto Salon, Tokyo).
Une nouvelle photographie
La photographie japonaise trouve son style dans les années 1950-1960. Humiliée par la défaite militaire comme par l’occupant américain qui désacralise l’empereur, la nation encore sous le choc des bombes atomiques est livrée à l’œil critique d’Eiko Hosoe, Shomei Tomatsu, Ikko Nakahara, Ken Domon, Kikuji Kawada (Galerie Michael Hoppen, Londres ; Galerie Priska Pasquer, Cologne) : une nouvelle photographie, brutale, naît au sein de l’agence Vivo en 1959. Faute de galeries et de musées, le livre devient le moyen d’expression privilégié (lire p. 21). Des chefs-d’œuvre sont conçus en collaboration avec des graphistes d’exception : dans Barakei (1963) puis dans sa version de luxe pop Ordeal by Roses (1971), Hosoe met en scène les fameux portraits sadomasochistes de l’écrivain Yukio Mishima qui se fera « seppuku » en réaction contre l’acculturation du Japon (Howard Greenberg Gallery, New York). Dans la veine expressive de Chizu de Kikuji Kawada, les titres mythiques, 11:02 Nagasaki de Shomei Tomatsu ou Hiroshima de Ken Domon, portent à son paroxysme la vision du désastre. À contre-courant, Shoji Ueda compose des scènes familiales épurées qui ont pour unique décor les dunes de Tottori (Howard Greenberg Gallery, New York ; Camera Obscura, Paris).
Nouvelle explosion en 1968. Le Traité de sécurité renouvelé avec les États-Unis soulève des émeutes à Tokyo. Le magazine iconoclaste Provoke lance alors le slogan « Aré ! Buré ! Boké ! » [du grain ! du tremblé ! du flou !] annonçant l’esthétique radicale de Daido Moriyama, tandis que le groupe Konpora capte l’insignifiance du quotidien. Amère, Miyako Ishiuchi, une pionnière méconnue, photographie Yokosuka, son village natal devenu une base militaire américaine.
La revanche est prise dans les années 1980 : superpuissance économique, le Japon s’intéresse au langage de l’intime et à l’évocation critique de la temporalité qu’explorent Nobuyoshi Araki, Hiroshi Sugimoto, Naoya Hatakeyama (Galerie Hamiltons, Londres ; Rat Hole, Tokyo). Dix ans après, la bulle financière éclate. Les codes visuels de la génération Manga se brouillent : les trucages numériques et une quête d’individualité produisent une « world photography » colorée. Des geishas blondes déjantées s’affrontent à des wonderwomen dans l’œil de Mika Ninagawa, l’une des artistes qui occupent le devant de la scène actuelle avec Rinko Kawauchi, Tomoko Sawada, Lieko Shiga ou Yuki Onodera. En marge, le photographe Nao Tsuda revisite l’esthétique contemplative traditionnelle dans des paysages prisés à la dernière foire de Bâle (Galerie Hiromi Yoshii, Tokyo).
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Miroir du Japon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°290 du 31 octobre 2008, avec le titre suivant : Miroir du Japon