Paysage de l’art contemporain à Paris (Jeu de paume, Site de création contemporaine), vingtième anniversaire des FRAC, diffusion de la création en régions, de nombreux dossiers sont sur le bureau de Martin Bethenod, nommé en janvier délégué aux Arts plastiques. Dans un entretien, il livre les grands axes de sa politique.
De nombreux projets sont en cours à Paris. Quelles sont en particulier les évolutions les plus récentes de la transformation de la Galerie nationale du Jeu de paume en Galerie nationale de l’image et de la photographie ?
C’est l’un des importants dossiers que j’ai trouvés lorsque je suis arrivé à la tête de la délégation aux Arts plastiques (DAP), à la fin du mois de janvier dernier. À la demande du ministre, je me suis plongé dans l’analyse du projet, en liaison avec Jacques Charpillon et Michel Ricard, inspecteurs de l’administration culturelle, qui avaient été chargés d’une mission de préconisations sur ce sujet, et j’ai entrepris une série de rencontres et de consultations, pour en affiner la définition et le cahier des charges. Le dispositif est désormais en mesure d’être confirmé dans l’ensemble de ses aspects, et je pense que le ministre souhaitera l’annoncer avant la fin du printemps. L’actuelle programmation du Jeu de paume prendra fin à la mi-février 2004 et l’objectif est de pouvoir ouvrir la nouvelle institution à l’été 2004. Il n’est pas prévu de faire de lourds travaux dans le bâtiment, qui, contrairement à ce qui a pu être dit, a fait la preuve de sa capacité à se prêter à la présentation de médias divers, et notamment à la photographie sous toutes ses formes. La nouvelle institution n’aura pas à remplir l’ensemble des missions de l’État à l’égard de la photographie ni à épuiser celles des autres lieux. Elle doit s’inscrire dans un paysage dense, celui d’un grand nombre d’institutions qui consacrent leur programmation à la photographie et à l’image suivant des logiques qui leur sont propres : le Centre Pompidou, Orsay, la BNF, la MEP [Maison européenne de la photographie]. Elle doit également prendre acte du fait que la photographie a vu, au cours des années 1990, son statut évoluer de manière fondamentale : elle est aujourd’hui un médium multiforme, qui se développe selon des logiques diverses, occupe une place centrale dans le champ des arts plastiques, et entretient avec d’autres médias, la vidéo, l’installation, le graphisme… des rapports de porosité. Le besoin qui se fait aujourd’hui sentir est celui d’une structure réactive, mobile, apte à développer une programmation fortement identifiée d’expositions, de colloques, de cycles de films, de publications, etc. À cet égard, le Jeu de paume dispose de formidables atouts : sa centralité et sa visibilité. Sa programmation reflètera une approche ouverte de la photographie et de l’image : ouverte d’un point de vue chronologique (“de l’argentique au numérique”), des pratiques (photo plasticienne, “photo-photo”...) et sur le plan des disciplines (photographie, vidéo, cinéma, installation...).
Le rôle du futur centre sera de produire, dans cette logique d’ouverture, une programmation, dans ses murs et hors ses murs : il sera une tête de réseau qui travaille en partenariat avec le vaste tissu d’institutions et d’événements – Arles, Printemps de septembre à Toulouse, Visa pour l’Image à Perpignan, Pontault-Combault, Photo España, ICP [International Center of Photography]... Le futur directeur sera désigné avant l’été afin de lui laisser un an pour préparer l’exposition inaugurale et les premiers événements hors les murs.
Il va de soi que ces réflexions sur le devenir du Jeu de paume nous engagent à repenser la manière dont l’État continuera d’assumer ses responsabilités à l’égard des grands artistes de la “génération intermédiaire”, qui constituaient jusqu’alors le cœur des missions du Jeu de paume, missions auxquelles il n’est pas question de renoncer. Nous y travaillons actuellement, en concertation avec la RMN et le Centre Pompidou.
Dans cette perspective, quel est l’avenir du Palais de Tokyo, Site de création contemporaine ?
Je crois qu’il y a toujours, dans les louanges comme dans les critiques qu’on entend à l’égard de l’activité du Palais de Tokyo, une part excessive et même injuste d’a-priori et de parti pris. Il faut savoir faire la part des choses, reconnaître ce qui a été réussi, et reconnaître aussi ce qui l’est moins... Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud assurent la direction du lieu jusqu’à la fin 2004. L’un et l’autre doivent pouvoir assurer cette direction dans les conditions les plus convenables. Cela veut dire, pour nous, les soutenir, les accompagner ; pour eux, c’est ma conviction, se concentrer sur ce qu’ils savent le mieux faire, comme ils l’ont souvent montré : concevoir des expositions ambitieuses, développer des vrais points de vue.
Ensuite, les cartes seront à rebattre. Il faut réfléchir à un nouveau projet, à de nouvelles personnalités capables de le porter. C’est un dossier que nous traiterons à la fin de l’année 2003 afin de permettre à la future équipe de disposer d’une année pleine pour préparer un projet. L’engagement du ministère de la Culture et du ministre à l’égard de l’existence du “Site de création contemporaine” est clair. Il nous appartient d’en réinventer périodiquement les modalités, le contenu, le projet.
Les vingt ans des FRAC, qui seront fêtés cet été, annoncent en même temps les FRAC de deuxième génération. Quels sont les nouveaux équipements prévus à court terme pour ces institutions en régions ?
Nous profitons des vingt ans des FRAC pour tirer un bilan et nous engager dans un processus nouveau. Le bilan sera donné par les expositions “Trésors publics” à Nantes, Avignon, Strasbourg et Arles, qui nous permettront de mettre en valeur le niveau de ce qui a été rassemblé et sa diversité : trois mille artistes ont été achetés en vingt ans, bien loin, donc, de cette idée fausse d’un petit cercle “d’artistes abonnés” aux FRAC, dont parlent certains. Dans le même temps, les deux cents manifestations de “Détours de France” montreront qu’il ne s’agit pas de collectionner pour le plaisir de collectionner mais dans une véritable logique de diffusion et de valorisation de ces achats auprès du plus large public. Nous nous engageons aussi dans certaines régions sur l’évolution immobilière des FRAC. Cela a déjà été le cas pour le FRAC Pays de la Loire à Carquefou, c’est quasiment fait en Lorraine, à Metz. D’autres projets en Picardie, Auvergne, Poitou-Charentes, Aquitaine, PACA, Centre, Bourgogne… sont à différents stades d’étude ou d’avancement... Cette évolution des moyens ne doit pas correspondre à un infléchissement des missions des FRAC mais à leur renforcement. Il s’agit de permettre à ces structures de mieux remplir leur mission d’acquisition en leur offrant de meilleures conditions de conservation préventive, des réserves dignes de ce nom ; de mieux remplir leurs missions de diffusion, en les dotant de lieux susceptibles de servir de têtes de réseau de diffusion régionale ; de leur fournir des locaux mieux adaptés à leur action éducative et pédagogique.
Cet anniversaire coïncide avec une relance de la décentralisation. Comment envisagez-vous la gestion des FRAC par les Régions, demandée semble-t-il par certaines d’entre elles ?
Les FRAC sont un modèle assez exceptionnel de partenariat État-Régions. Le ministre a indiqué qu’il était ouvert à ce que, si des Régions étaient volontaires pour le faire – ce qui, à l’heure actuelle, n’est pas le cas formellement –, l’on puisse conduire des expérimentations. Nous souhaiterions ainsi pouvoir expérimenter avec les collectivités territoriales le nouveau statut d’“établissement public de coopération culturelle”. Celui-ci présente des avantages : il permet de mieux cadrer la participation des différentes tutelles (nationale, régionale, locale) et de doter les collections des FRAC du statut de collections publiques. En outre, il est bien adapté aux projets de développement de certains FRAC, par exemple le FRAC Centre, qui va réaffirmer ses liens avec Archilab [Rencontres internationales d’architecture d’Orléans] en s’installant sur un site commun, ou le projet de pôle d’art contemporain qui est en train d’émerger à Dijon avec l’association du Consortium, de l’école d’art et du FRAC Bourgogne.
Toujours en régions, est-il prévu de donner un nouveau statut aux centres d’art, qui sont souvent de simples associations loi 1901 ?
Une grande réflexion est à lancer sur les centres d’art qui, aujourd’hui, sont dans des situations très diverses. Un travail de cartographie sera entamé très prochainement. Les enjeux, les identités, les moyens, ne sont pas les mêmes d’un lieu à un autre. Trois grands réseaux demandent ce regard d’ensemble : les FRAC, les centres d’art et, bien entendu, les écoles d’art.
Le Centre national des arts plastiques (CNAP) a changé de statut en janvier dernier. Pourquoi cette réforme ?
Il faut faire la part d’une logique institutionnelle qui a évolué. Les établissements publics gestionnaires de moyens et trop étroitement liés aux directions d’administration centrale ne sont plus des modes de gestions satisfaisants. Le récent changement de statut s’est fait dans un souci de transparence. Il permet de clarifier le mode de relation entre la DAP et le CNAP, et de mieux identifier leurs missions respectives. En cascade, cela a mené le changement de statut des écoles nationales d’art, du Mobilier national et de la Manufacture de Sèvres. Nous sommes en train de faire entrer dans la pratique ces changements de statut.
La conjoncture en 2003 semble moins favorable que prévue. Envisagez-vous dès à présent une baisse du budget pour les arts plastiques dans une prochaine loi de finances rectificative ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour, ni pour 2003, ni pour 2004. Les marges de manœuvre ne sont pas immenses, mais elles existent, pour peu que l’on ait le courage de remettre à plat, de redéployer...
Quels sont les points sur lesquels vous souhaitez donner une nouvelle impulsion à la politique de la délégation aux Arts plastiques ?
Outre cette question essentielle des réseaux (FRAC, Centres d’art, écoles), que j’évoquais tout à l’heure, il me semble important d’insister sur deux points : la diversité et l’exemplarité. Diversité des pratiques et de certains secteurs relevant de plein droit des arts visuels : le design, le graphisme, la mode, à l’égard desquels il convient de mieux affirmer le rôle du ministère de la Culture... Il faut aussi retrouver une logique d’impulsion, d’exemplarité de l’État. Par exemple, la commande publique, sujet auquel le ministre est tout particulièrement attaché, n’est jamais aussi forte, n’a jamais autant de sens que lorsqu’elle produit une œuvre formidable, tout en, dans le même temps, créant un modèle nouveau, ouvrant une voie nouvelle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Martin Bethenod : « la diversité et l’exemplarité »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Martin Bethenod : "la diversité et l’exemplarité"