Lorsque les membres du jury chargés de choisir la ville française capitale européenne de la culture 2013 descendent au début de l’été 2008 à la gare Saint-Charles, un minibus les attend.
« Nous avions de midi à minuit pour les convaincre de choisir Marseille », se souvient Bernard Latarjet, qui dirigea de 2006 à 2010 l’association Marseille-Provence 2013 en charge de la candidature puis de la réalisation de MP 2013. Après être passé par Lyon, Toulouse et Bordeaux, le jury écoute donc le programme à venir qui, de la prison des Baumettes à la Friche Belle de Mai, doit le faire pencher en faveur de la cité phocéenne. Aucune visite de musée ni de l’Opéra n’est prévue, et ne se fera.
« Quand j’avais décrit quelques jours auparavant le programme à Jean-Claude Gaudin en lui expliquant que nous allions faire la promotion de la culture en commençant la visite par la pire des prisons françaises avant de la poursuivre dans les territoires les plus difficiles de la ville, il m’avait pris pour un cinglé », précise Bernard Latarjet, conseiller depuis 2011 auprès de MP 2013. « Pourtant, c’est en montrant au jury cette réalité de la culture à Marseille, et en exposant les raisons pour lesquelles il fallait nous aider, que nous avons gagné en partie le label », poursuit-il.
C’est en effet en constatant le travail de certaines associations sur le terrain, comme Lieux fictifs aux Baumettes, et en découvrant, maquettes à l’appui, au fort Saint-Jean, la métamorphose urbaine en cours du centre-ville et du port et les enjeux de ce label pour la cité que le jury s’est prononcé en faveur de Marseille. Plus exactement en faveur de Marseille et d’un territoire métropolitain large, puisque la candidature englobait d’autres villes du département, comme Aix-en-Provence, Arles et Toulon, Toulon qui se retirera quelque temps plus tard de MP 2013.
Un manque de lisibilité nationale
Le tissu associatif, notamment culturel, est de fait très important à Marseille et souvent de grande qualité. « Il représente un pan important de la ville et de la société, mais il est très fragmenté en projets », souligne le photographe Erick Gudimard des Ateliers de l’image, centre de création contemporaine et d’éducation à l’image. « Marseille est une ville où il se passe beaucoup de choses et beaucoup de tout », constate également l’artiste Pierre Sauvageot, directeur du centre national de création Lieux publics, connu pour ses actions artistiques dans l’espace public. « Reste que ce tissu n’a pas de lisibilité nationale européenne ou internationale, ni une excellence dans un domaine, du moins visible, et ne bénéficie d’aucune ligne politique claire avec des choix de la part de la municipalité », qui saupoudre les financements.
« Bien que foisonnante et riche, l’activité culturelle de Marseille est trop dispersée, trop éclatée et manque de pôles de production de référence internationale et de manifestations porteuses d’une identité culturelle de la ville, comme à Lille, Lyon ou Bordeaux », corrobore de son côté Bernard Latarjet tout en faisant remarquer le nombre important de théâtres (pas moins de trente-cinq), de musées « et l’absence de production d’expositions de référence comme au temps de Dominique Wallon, de Germain Viatte ou de Bernard Blistène ». Une époque pourtant pas si lointaine, celle de Gaston Defferre et d’Edmonde Charles-Roux puis de Robert-Paul Vigouroux. Soit une quinzaine d’années à peine où, entre la fin de la décennie 1980 et 1995 – qui signe la victoire de Jean-Claude Gaudin aux élections municipales –, Marseille a été la capitale culturelle phare de la région avant qu’Aix ne la supplante.
« Une période basée d’abord sur une politique culturelle avec quatre pôles : le Théâtre national de la Criée avec Marcel Maréchal, les Ballets nationaux de Marseille dirigés par Roland Petit, le cinéma avec René Allio, et l’Opéra, qui a toujours été dans la tradition culturelle depuis qu’il existe », explique l’artiste poète performeur Julien Blaine, alias Christian Poitevin, adjoint délégué à la Culture de 1989 à 1994. Edmonde Charles-Roux est l’éminence grise de la culture. « L’arrivée en mars 1986 de Dominique Wallon, ancien coéquipier de Jack Lang au ministère de la Culture appelé par Gaston Defferre pour prendre en charge la nouvelle direction des Affaires culturelles de la ville, marque de son côté la volonté d’asseoir l’identité culturelle de Marseille », note Philippe Foulquié, autrefois directeur du Théâtre Massalia et artisan de la Friche Belle de Mai rassemblant sur l’ancien site de la manufacture de tabac de la Seita, et dans l’un des quartiers les plus pauvres de la cité phocéenne, ateliers, studios de musique et résidences d’artistes.
Marseille, ville de musées ?
Un an plus tôt, l’installation à Marseille de Germain Viatte, que Gaston Defferre avait débauché du Centre Pompidou, avait marqué un tournant pour les musées dispersés à travers la ville, qu’il plaça sous une direction de tutelle, la Direction des musées de Marseille, en leur donnant les moyens d’appliquer leur politique d’acquisition et d’exposition. Marseille rayonne alors jusqu’à Paris, qui descend voir les spectacles de Marcel Maréchal, les ballets de Roland Petit, les expositions des galeristes Roger Pailhas et Jean-Pierre Alis ou celles du Musée Cantini, dont la manifestation sur Francis Bacon en 1976, notamment, avait marqué les esprits. Dans le quartier du Panier, juste au-dessus du Vieux-Port, la Vieille Charité, sublime bâtiment du XVIIe siècle tout juste restauré, devient le lieu de grandes expositions marquantes que confirmeront, amplifieront après la mort de Gaston Defferre le 7 mai 1986, les années Vigouroux, deuxième période bénie pour la scène artistique marseillaise avec le développement du spectacle vivant, des arts plastiques et de la création sous l’égide de Christian Poitevin.
Ce tonitruant adjoint à la Culture impulse, entre autres, la création de la Friche Belle de Mai et cofonde, avec Emmanuel Ponsart, le Centre international de poésie Marseille (CipM) tandis que Bernard Blistène, nouveau directeur des Musées de Marseille (1990-1995), crée le Musée d’arts africains, océaniens et amérindiens (MAAOA) et le Musée d’art contemporain (MAC) qu’il codirigera jusqu’en 1996 avec Philippe Vergne.
Seize ans plus tard, la Vieille Charité renvoie l’image d’une belle endormie, le MAC, faute de subventions, a perdu de son aura et le CipM résiste. L’élection de Jean-Paul Gaudin à la mairie de Marseille en 1995 a marqué l’arrêt de ces politiques culturelles ambitieuses, soutenues financièrement et politiquement, et incarnées. Nombre de projets ont été négligés, tel le Musée César, engagé par Robert-Paul Vigouroux avec l’artiste qui avait légué à la ville cent quatre-vingt-six œuvres qu’il reprendra faute d’avoir trouvé un accord pour la construction d’un édifice.
« Pour faire de la politique culturelle, il faut avoir le souci de la culture », rappelle Jean Contrucci, auteur avec Gilles Rof de l’ouvrage Marseille Culture(s), paru chez HC Éditions, reflétant le bouillonnement artistique actuel et passé de la cité phocéenne. Ce qui ne fut pas le cas pendant toutes ces années. Or, justement, l’un des enjeux de 2013 est de montrer en quoi ce souci peut donner une autre image, une autre impulsion à une ville marquée par la pauvreté et la violence.
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Marseille - La cité sera-t-elle enfin au rendez-vous de la culture ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Marseille - La cité sera-t-elle enfin au rendez-vous de la culture ?