PARIS
Le projet de restauration de l’hôtel Lambert, fleuron architectural du XVIIe siècle, situé sur l’Île Saint-Louis, à Paris, est au cœur d’une polémique opposant la Ville à l’État. Propriétaire de l’édifice depuis 2007, l’émir du Qatar a prévu d’y réaliser des travaux que condamnent la Commission du Vieux Paris et le maire de la capitale. Le ministère de la Culture, qui pilote directement le projet, crie à la manipulation politique.
PARIS - L’affaire fait grand bruit dans les milieux parisiens depuis la fin de l’année 2008 et pourrait tourner au scandale patrimonial : l’hôtel Lambert, chef-d’œuvre architectural de Louis Le Vau, construit entre 1639 et 1644 au cœur de la capitale, sur la pointe de l’Île Saint-Louis, serait promis à de dramatiques travaux de restauration. Racheté 80 millions d’euros aux Rothschild par l’émir du Qatar en juillet 2007, l’édifice classé, l’un des plus beaux hôtels particuliers du XVIIe siècle de la capitale, doit faire l’objet de travaux contre lesquels s’est érigée unanimement la Commission du Vieux Paris, le 18 décembre 2008. Relayés par Le Monde (du 20 décembre), les membres de cette commission ont dénoncé le caractère irrémédiable de l’opération qui conduirait « aux sacrifices des distributions anciennes et de certains dispositifs architecturaux originels ».
Concrètement, selon la commission, il est question d’installer la climatisation, de supprimer les menuiseries extérieures, de créer quatre ascenseurs ainsi que de nouvelles salles de bain (une pour chaque chambre), ce qui réduirait d’un tiers la surface des pièces, d’après l’association de défense du patrimoine Momus. Il est également question de creuser en sous-sol un parking et de créer une sortie sur le quai d’Anjou par le biais d’une porte « coulissante ». Dans une lettre du 23 décembre rendue publique et adressée à la ministre de la Culture, qui gère directement le dossier, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a demandé que le projet soit « reconsidéré, en prenant le temps d’un examen approfondi, et en mettant en place les conditions d’une instruction indépendante, centrée sur le seul enjeu qui, en la matière, puisse orienter notre réflexion : la question patrimoniale ».
Et de fustiger la manière dont se sont déroulées les opérations : au lieu de faire appel à la Commission supérieure des Monuments historiques – commission généralement consultée pour de tels projets –, la Rue de Valois a préféré créer une commission scientifique spéciale qui, sans surprise, a émis un avis favorable. Face aux critiques de l’Hôtel de Ville, la réponse du ministère de la Culture ne s’est pas fait attendre. Christine Albanel a dénoncé, dans un communiqué les « arrière-pensées politiques » du maire de Paris, assurant que « l’État a pris toutes ses responsabilités pour surveiller les conditions de restauration de ce bâtiment classé ». Le ministère a précisé qu’il n’y aurait pas de salles d’eau supplémentaires et qu’un quatrième ascenseur était « seulement » envisagé. De son côté, Alain-Charles Perrault, l’architecte en chef des Monuments historiques en charge du dossier, n’a pas tari d’éloges sur l’émirat qatari et son engagement en faveur du patrimoine – il doit consacrer 13 millions d’euros aux travaux de restauration, selon le ministère de la Culture –, n’hésitant pas à dénoncer dans la presse le « parquet délabré » et les « charpentes pourries » de l’édifice (Le Parisien, 23 décembre).
Une manière de suggérer que les travaux sont indispensables et qu’il faut agir vite. Mais l’empressement du ministère, passant outre le Plan local d’urbanisme, pourrait se retourner contre lui. La Ville de Paris compte tout mettre en œuvre pour que la Rue de Valois et l’architecte en chef des Monuments historiques revoient leur copie, ce qui ne sera pas forcément du goût de l’émir. Dans cette affaire, la France devrait faire passer la bienséance diplomatique après la cause patrimoniale.
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L’hôtel Lambert en sursis
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : L’hôtel Lambert en sursis