Premier titulaire, depuis avril 1994, d’une chaire Millard des beaux-arts au Goldsmith’s College, le peintre et artiste conceptuel Michael Craig-Martin a formé ou inspiré toute une génération de jeunes artistes. Il évoque son travail au Goldsmith’s College et le rôle joué actuellement par l’établissement.
Peut-on parler de crise dans les écoles d’art britanniques ?
Elles connaissent depuis vingt ans de réels problèmes. Le démantèlement du système moderne, mis en place au début des années soixante, a eu des conséquences désastreuses. L’enseignement était auparavant confié à des artistes exerçant à mi-temps et dispensés de responsabilités administratives. Cette excellente solution, enviée par toutes les écoles d’art européennes, a constitué un moyen remarquable de subventionner des artistes qui ont pu transmettre leur expérience à toute une génération d’étudiants.
Quand je suis arrivé des États-Unis en Angleterre, je suis moi-même devenu enseignant à temps partiel dans une école de province. À l’époque, les artistes venaient dans les écoles, et des établissements situés à Liverpool ou à Sheffield, par exemple, recevaient la visite de nombreux artistes londoniens. Ce contact direct entre les écoles de province et le centre de la création artistique n’existe plus. Les postes à temps partiel ont été supprimés. Autrefois, les meilleurs diplômés des écoles d’art pensaient pouvoir accéder à ces postes. Maintenant, les étudiants n’en parlent même plus.
Quels ont été les effets de la centralisation d’écoles autrefois indépendantes ?
Ils ont été catastrophiques ! C’est l’une des pires choses qui pouvaient arriver. Il y avait à Londres, par exemple, quantité d’écoles remarquables : Chelsea, St Martin’s, Central, Camberwell, The Slade, The Royal College of Art, Goldsmith’s… Chacune avait sa propre histoire, ses propres valeurs, son enseignement spécifique. Il leur avait fallu des années pour mettre au point un système d’enseignement efficace et cohérent, et il a suffi de 24 heures pour tout détruire. Camberwell et St Martin’s ont pratiquement disparu. La fusion des systèmes a entraîné la perte d’une diversité fondamentale.
Quel est aujourd’hui le rôle des écoles d’art ?
Le vrai rôle de ces écoles est de former des gens capables d’affronter la complexité d’un monde en pleine mutation. À l’avenir, personne n’aura plus un travail salarié à vie, mais plusieurs emplois, ou bien un emploi à temps partiel qui permettra de faire autre chose. J’ai toujours affirmé que ce qui distingue un artiste, c’est sa capacité à opérer de façon autonome dans la société. Ce qu’enseignent les écoles d’art, c’est l’indépendance d’esprit.
Si l’artiste change de carrière, il aura été formé aux exigences concrètes de la vie contemporaine…
Exactement. Après tout, le contenu de ce que l’on enseigne maintenant peut fort bien être complètement dépassé dans dix ans. Ce qui compte, c’est donc la souplesse intellectuelle, la confiance en soi, l’autodiscipline nécessaires pour se frayer un chemin dans le monde. On voit en général les artistes comme des irresponsables alors qu’en fait, être un artiste requiert énormément de discipline.
"L’exception" Goldsmith’s constitue-t-elle un mythe ou une réalité ?
Le Goldsmith’s College s’efforce d’offrir les conditions idéales pour pratiquer tous les types de recherches possibles. Si un étudiant choisit une école de peinture, ou un département où l’on n’enseigne que la peinture, il pose comme postulat qu’il fera de la peinture et s’arrête là. S’il choisit Goldsmith’s et décide de devenir peintre, il prendra cette décision en connaissance de cause.
À Goldsmith’s, la décision de devenir peintre n’est pas tenue pour acquise. Alors que dans une école de peinture, on ne se pose même pas la question, sous peine de remettre en cause tout le système de l’école. Les écoles d’art spécialisées ne permettent pas aux élèves de s’apercevoir qu’ils se sont trompés d’orientation. Et dans la plupart des écoles, il est très difficile de se reconvertir.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’exception Goldsmith’s
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : L’exception Goldsmith’s