Les PME, les PMI et les grands groupes sont de plus en plus nombreux à ouvrir des musées pour valoriser leur fonds patrimonial et raconter, à travers leur histoire, celle de l’Italie du XXe siècle. Une dynamique qui répond à un accueil très enthousiaste du public.
Italie.« Avec la culture on ne mange pas. » La célèbre déclaration de l’emblématique ministre des Finances de Silvio Berlusconi résumait la considération de l’ancien président du Conseil pour l’art. Le monde économique italien revendique en revanche de se « nourrir de sa culture d’entreprise » : l’ensemble de ses valeurs, connaissances, références, mais surtout de son histoire. Celle des innombrables PME, PMI et des quelques grands groupes d’une péninsule dont l’industrialisation, intervenue dans le courant du XXe siècle, a été bien plus tardive que celle de ses voisins européens.
« Préserver et raconter la mémoire d’entreprises dont les produits souvent iconiques accompagnent les Italiens dans leur vie quotidienne et dont les publicités ont marqué l’imaginaire collectif, c’est un peu raconter l’histoire de l’Italie du siècle dernier », explique Antonio Calabrò, directeur de la Fondation Pirelli, et depuis juin dernier président de l’association Museimpresa. Celle-ci a été fondée en 2001 sur l’initiative d’Assolombardia, qui regroupe les industriels de la région Lombardie, et Confidustria l’association du patronat italien. Quatre-vingt-cinq entreprises ont aujourd’hui adhéré au réseau de Museimpresa qui s’étend du Piémont à la Calabre et rassemble les musées et les archives des marques aussi différentes que le designer Alessi, le constructeur automobile Ferrari, le vendeur de café Lavazza (voir page 27) ou d’apéritif Campari, sans oublier le producteur de pâtes Barilla ou encore l’équipementier routier Pirelli. Le but est d’atteindre, puis de dépasser rapidement la centaine de membres.
Le succès des musées d’entreprise est grandissant et dépasse, dans certains cas, la fréquentation des plus importants sites patrimoniaux de la péninsule. En Émilie-Romagne, les collections du Musée Ferrari de Maranello (voir ill.) et celles consacrées au fondateur de la « Scuderia Rossa » à Modène ont attiré 540 000 personnes, en 2018. Cela en fait la première attraction touristique de la région rassemblant le triple des visiteurs de la basilique byzantine Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne avec ses célèbres mosaïques du VIe siècle. Le succès des musées Ferrari talonne celui de la Galerie Borghèse à Rome avec un peu plus de 600 000 touristes en 2018 et dépasse celui du site archéologique de Paestum ou des chapelles des Médicis à Florence. Les portes de la dizaine de musées liées à la construction automobile en Émilie-Romagne ont été franchies par 1,8 million de touristes dont 56 % sont étrangers. « La mémoire et l’innovation vont de pair, commente Antonio Calabrò. C’est ce que j’appelle l’humanisme industriel, qui est une synthèse entre les cultures humanistes et les connaissances scientifiques. C’est d’ailleurs le XXe siècle qui les sépare. À la Renaissance, on ne se pose pas la question. L’humanisme industriel promu par nos musées unit le sens de la beauté et le sens de la qualité de la production. C’est la beauté et la créativité qui sont les caractéristiques de l’industrie italienne qui la différencient de l’industrie allemande, française ou britannique. Cela représente notre force et notre compétitivité. À l’inverse de la France où l’État est plus fort, en Italie, le rôle du privé est plus développé qu’il soit une grande famille, une association ou une société. L’art n’est pas abordé uniquement dans un rapport de mécénat, il fait partie de notre ADN. » C’est ce que résumait l’historien de l’économie transalpine Carlo Maria Cipolla en affirmant que « depuis le Moyen Âge, les Italiens sont habitués à produire à l’ombre des clochers des choses belles qui plaisent au monde ».
Ces « belles choses » sont de plus en plus exposées sous la lumière des vitrines de musées d’entreprise qui rivalisent pour valoriser au mieux leurs patrimoines. Le musée du designer Alessi a ouvert dès 1998, sur une surface de 500 m2, des ateliers de fonderie qui ont hissé les accessoires de cuisine au rang d’objets iconiques. Il regroupe environ 25 000 objets, 20 000 dessins et prototypes, ainsi que des moules, des magazines et des catalogues. Une collection qui raconte un siècle d’évolution du design, mais surtout du goût et de l’art de vivre italien. La Galerie Campari, inaugurée en 2010 au siège de l’entreprise qui fête son 160e anniversaire cette année, présente les plus belles pièces de sa collection de 3 000 dessins, croquis ou encore affiches publicitaires datant de la Belle Époque à nos jours (voir ill.) et souvent signés par des artistes renommés tel que le futuriste Fortunato Depero qui a même dessiné la bouteille du Campari Soda. Un autre futuriste, Mario Sironi, a dessiné des publicités pour la Fiat, tandis que l’artiste Armando Testa a collaboré avec Fernet-Branca, Lavazza ou encore Pirelli dont les fonds reçoivent la visite de plus de 30 000 personnes chaque année. À cela s’ajoute les revues culturelles telles que la revue Pirelli lancée en 1951 avec les contributions de Dino Buzzati, Umberto Eco, Renato Guttuso ou encore Italo Calvino, mais aussi la revue Il Gatto Selvatico de la société privée d’hydrocarbure ENI (1955-1965), destinée à ses employés avec les signatures de Leonardo Sciascia, Natalia Ginzburg et Carlo Emilio Gadda.
Un nouveau terme a été récemment forgé, celui d’Heritage Marketing, pour mettre en avant dans la communication des entreprises leur patrimoine historique et artistique. Toutes n’ont pas des chefs-d’œuvre à exposer, ni de grands noms d’artistes à faire valoir. La valeur des visites est plus souvent sentimentale que culturelle. Elles jouent évidemment sur la fibre nostalgique du consommateur qui, à travers les produits des marques et leur matériel promotionnel, voit affleurer des souvenirs personnels. Une mémoire intime qui se mêle à celle nationale. « C’est également une question de fierté ainsi qu’un gage de qualité, insiste Antonio Calabrò. L’histoire peut devenir un levier d’innovation pour l’entreprise et un fond inédit de documentation pour les historiens et les historiens de l’art, mais aussi une source d’inspiration pour les artistes qui devraient visiter plus les usines. Ces archives ne sont pas une paperasse qui encombre nos greniers, mais un bagage de mémoire qu’il convient de valoriser avec un dialogue accru entre le public et le privé. » Il a déjà commencé par la reconnaissance du rôle culturel et social des musées d’entreprise fin 2017 par le ministère italien des Biens et Activités culturels (Mibact). Le ministère les a insérés dans sa liste des lieux d’art nationaux avec près de 5 000 musées et institutions culturelles.« Cela confirme l’un de nos slogans, ajoute Antonio Calabrò, ce n’est plus l’entreprise “Et” la culture, mais l’entreprise “EST” la culture. »
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Les musées d’entreprises italiennes font le plein de visiteurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Les musées d’entreprises ITALIENnes font le plein de visiteurs