Les éclats des bijoux Art déco

Le luxe de ces créations séduit le marché

Le Journal des Arts

Le 18 avril 2003 - 950 mots

La vogue des arts décoratifs des années 1920 à 1950 concerne aussi les bijoux. Illustrations brillantes d’une période foisonnante de création, bijoux d’artistes et pièces de haute joaillerie se côtoient sur les cimes du marché de l’art.

Le 10 décembre 2002 à Paris, une vente de bijoux organisée chez Christie’s a connu une bataille d’enchères mémorable. L’objet des convoitises était un superbe bracelet Art déco articulé en rubis et diamants, signé Van Cleef & Arpels. Formé de trois rangées de rubis birmans ovales, ponctuées de motifs géométriques en diamants, il avait été créé vers 1930. Collectionneurs et professionnels du monde entier bataillèrent. Vingt-six lignes téléphoniques furent prises d’assaut. L’adjudication finale à un collectionneur suisse atteignit 204 050 euros, largement au-dessus de l’estimation haute de 60 000 euros. Expert en bijoux chez Christie’s, Jean-Marc Lunel commente : “Il s’agissait d’une pièce réellement exceptionnelle. La qualité incroyable de l’articulation, la signature de Van Cleef, le fait que le bijou soit numéroté et la provenance des rubis : tout concourrait à la réalisation d’une très belle enchère.”
La vogue des arts décoratifs du XXe siècle s’est communiquée aux bijoux. La cote, haute et stable depuis vingt ans, connaît un pic ces deux dernières années. Les créations les plus rares et les plus prisées, comme l’atteste l’enchère de Christie’s, sont les bijoux des plus célèbres joailliers, créés entre 1920 et 1935, à la grande époque Art déco.

Renouveau décoratif
“On pourrait comparer ces créations raffinées aux luxueuses réalisations de Ruhlmann“, estime Valérie Danenberg, antiquaire spécialisée en bijoux (Paris). Comme Ruhlmann, qui aimait mélanger l’ébène, l’acajou et l’ivoire, les grands joailliers de l’époque travaillent des matériaux hétéroclites. Le diamant côtoie le lapis-lazuli, le corail, le jade, la turquoise, les pierres fines, le cristal de roche et parfois même la laque ou l’émail. Les motifs s’inspirent de l’Égypte, de la Chine ou de l’Inde. Les prix importants de ces créations se mesurent davantage à l’aune des heures de travail nécessaires à leur réalisation qu’à la valeur des matériaux employés. Parallèlement à cette frénésie de couleurs, la tendance sobre des années 1920 conduit les joailliers à créer des modèles noir et blanc. Les pavages de diamants s’ornent de petits filets d’émail, et le cristal de roche s’harmonise avec l’onyx. Les années 1930 voient éclore la mode du bijou blanc. Le pavage de diamants sur platine, métal inoxydable qui vient d’être adoubé comme précieux, fait merveille sous les feux impitoyables des lumières électriques. Cette décennie-là est aussi celle de l’invention du sert mystérieux par Van Cleef & Arpels, prouesse technique qui permet des pavages parfaits, sans aucune griffe visible. Cette célèbre maison d’origine hollandaise invente aussi la minaudière, petit sac à main en métal qui permet toutes les folies, de l’émail cloisonné aux laques somptueuses. Le dénominateur commun de cette période pourrait être la taille importante du bijou. “Il devient plus volumineux à mesure que le vêtement se stylise”, explique l’antiquaire en bijoux Lydia Courteille (Paris). Le bijou Art déco signe l’allure de la femme moderne.
Les joailliers s’inspirent parfois des tendances décoratives les plus avant-gardistes. Boivin, notamment, fait appel à Robert Mallet-Stevens. Celui-ci crée pour le bijoutier un fameux étui à cigarettes en miroirs carrés. Les bijoux d’artistes sont indissociables du foisonnement de la période Art déco. Jean Dunand décline son expérience de la dinanderie, des laques et des applications de coquilles d’œuf dans des bracelets ou des broches. Jean Fouquet, amateur d’acier chromé, puise dans une tendance mécaniste son incroyable bracelet “roulement à billes” de 1932. Jean Desprès s’inspire du dessin industriel pour créer des bijoux en noir et blanc dont les formes évoquent la machine.
Ces bijoux d’artistes ne sont pas moins onéreux que les pièces de joaillerie. Le 26 novembre 2002, à l’Espace Tajan, à Paris, le bracelet “roulement à billes” de Jean Fouquet, formé de deux cercles d’ébonite enserrant des billes de métal chromé, a été adjugé 80 200 euros, le double de son estimation. Lors de la même vente, une manchette en argent dessinée par Jean Dunand en 1927 était adjugée 42 460 euros contre une estimation haute de 15 000 euros. D’après Jean-Marc Lunel, ces objets intéressent autant les amateurs de bijoux que les férus d’Art déco. L’expert de Christie’s estime également que les bijoux Art déco, en général, sont les seuls sur le marché à faire l’objet de collections. Ils sont d’autant plus chers que l’alliance des pierres fines, de l’émail et des articulations sophistiquées rend ces objets fragiles, donc de plus en plus rares. Au firmament des prix, on trouve le modèle Tutti frutti de Cartier, des années 1930, pavé de diamants et pierres de couleurs. Un bracelet de ce type s’est vendu 933 500 dollars le 25 avril 2002 à New York chez Sotheby’s.
De façon générale, une pièce signée d’un grand joaillier comme Mauboussin, Van Cleef ou Boucheron a toutes les chances de séduire.
Le 11 février dernier à Gstaad, en Suisse, la maison Tajan a vendu 23 937 euros une broche en diamants, cristal de roche et émeraudes créée en 1925 par Mauboussin. Ce bijou non numéroté était estimé 12 000 euros au plus. Parmi les dernières tendances du marché, on remarque une percée de la maison Boivin. Cette joaillerie avant-gardiste, qui travailla un temps avec Suzanne Belperron, créatrice très prisée des collectionneurs, recueille de beaux résultats. Le 18 juin 2002 à Drouot, Piasa adjugeait 12 030 euros, au-delà de l’estimation haute de 3 800 euros, une bague boule en or jaune, vers 1930-1935, à motif en arête pavé de citrines calibrées en chute.

PROCHAINES ENCHÈRES

Le 21 mai, Espace Tajan, 37, rue des Mathurins, tél. 01 53 30 30 30 ; le 11 juin, Christie’s, 9, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 40 76 85 85.

OÙ VOIR DES BIJOUX ART DÉCO DANS LES GALERIES

Au Louvre des Antiquaires : - Valérie Danenberg, 2 place du Palais-Royal, 75001 Paris, tél. 01 42 60 19 59 - Galerie Castiglione, 2 place du Palais-Royal, 75001 Paris, tél. 01 42 60 18 41 - Lydia Courteille, 231 rue Saint-Honoré, 75001 Paris, tél. 01 42 61 11 71

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Les éclats des bijoux Art déco

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